(1977)
Trad. J. Barthoulot, révisée par S. Voicu
Introduction, notes, plan de travail de A.-G. Hamman
Version revue et corrigée pour migne.fr par G. Bady
[Note de G. Bady: Lisible et même élégante, la traduction de J. Barthoulot, publiée pour la première fois en 1916 et révisée par S.J. Voicu en 1977 pour « Les Pères dans la foi », ne peut évidemment pas prétendre être la dernière de la Prédication d'Irénée. En 1978, en effet, ont été découverts des fragments de la version arménienne dans le manuscrit Galata 54 ; la dernière édition dans la collection « Sources Chrétiennes » 406, Paris, 1995, par A. Rousseau, en tient compte. Le lecteur soucieux d'un état récent de la recherche se référera donc à cette édition en priorité.
La présente version du volume 3 des « Pères dans la foi » a été revue et corrigée en ce qui concerne 1°) les coquilles et autres erreurs matérielles, 2°) la normalisation des références, 3°) la lisibilité, 4°) la mise à jour de la bibliographie. En somme, le fond lui-même n'a pas été modifié. Seuls la table alphabétique des thèmes, p. 107-109, et l'index des citations bibliques, p. 111-113, n'ont pas été reproduits, puisqu'ils font référence aux pages du livre imprimé.]
Irénée et l'Église de Lyon
Qu'est-ce que croire ? Irénée répond
Prologue
Foi et oeuvres : comment les concilier ?
I. Qu'est-ce que les Apôtres ont prêché ?
Dieu et la création
Les trois articles de la foi
Du baptême à la Trinité
La création de l'homme
L'homme encore enfant. La chute
La marche vers le salut
Histoire du peuple de Dieu
Les alliances de Dieu : avec Noé, Abraham, Moïse
Adam et le Christ
La victoire du salut
L'Esprit dans l'Église
II. Les preuves : le Christ accomplit les Écritures
Le Fils de Dieu et Abraham, Jacob, Moïse
Le Christ préexiste à sa venue
Lecture de la Bible à la lumière du Christ
La passion annoncée
De la souffrance à la gloire
III. Le Christ et la loi nouvelle : l'Évangile
La charité, loi suprême
Le Christ et l'Église
La vie dans l'Esprit
La place des païens
L'Église passe aux barbares
Pour mieux tirer profit de ce livre :
Ce qu'il faut dégager de la Prédication des Apôtres
Ce texte dans l'histoire
Bibliographie sélective (mise à jour par G. Bady)
[PAGE 9]
Irénée et l'Église de Lyon
Venu du Moyen-Orient (sans doute de Smyrne), Irénée retrouve une colonie de ses compatriotes à Lyon capitale et centre commercial.
Il est déjà prêtre au moment de la persécution où meurent martyrs l’évêque Pothin, Blandine et leurs compagnons en 177. Il succède à saint Pothin le martyr, remplit diverses missions de pacification des esprits à Rome entre communautés d’origines diverses. Il mérite bien son nom qui en grec signifie «l’artisan de la paix».
Une de ses préoccupations majeures est l’évangélisation de la Gaule jusqu’en Germanie. À ce titre il est un des « fondateurs de l’Église de France ».
Une crise a éclaté dans la communauté de Lyon : elle a été provoquée par les hérétiques appelés gnostiques. Ils véhiculent une élaboration philosophique qui vidait pratiquement la foi de sa substance. L’œuvre capitale d’Irénée sera le traité Contre les hérésies ou Réfutation de la soi-disant gnose (connaissance). On pourrait aussi remarquer qu’il propose le premier «catéchisme pour adultes». C’est le livre que l’on trouvera présenté dans ce volume.
Vraisemblablement martyr, Irénée meurt vers 202.
[PAGE 11]
Qu'est-ce que croire ? Irénée répond
En 1977, Lyon fête le 18e centenaire de ses premiers martyrs chrétiens. Nous en avons conservé l’émouvant récit, grâce à la lettre qui relate l’épopée lyonnaise aux frères d’Asie Mineure. Il est fort possible qu’Irénée en soit l’auteur (voir Les premiers martyrs de l’Église, PdF 12).
Quoi qu’il en soit, l’évêque de Lyon apparaît, avec le recul des siècles, plus présent, plus actuel que le grand nombre des écrivains chrétiens grecs et latins. Il est le premier dans l’histoire à mériter le titre de théologien et ne peut être comparé qu’aux plus grands, Origène et Augustin. Grâce à lui est née la théologie comme réflexion sur le monde et sur l’histoire, éclairée par la Révélation.
Ne ressemble-t-il pas lui-même «au nard de grand prix», à reprendre sa propre image, dont les années ont décuplé la qualité, qui dissipe les miasmes et embaume l’Église de son parfum ? En dehors d’Augustin, il n’est guère de maître plus cité à Vatican II.
L’incurie des siècles et des hommes a perdu le texte original de tous ses ouvrages. Dès le VIe siècle, Lyon ne les possède plus. En vain l’évêque de la ville s’adresse-t-il au pape Grégoire Ier : «Nous n’avons trouvé, répond le pape, ni gestes ni écrits.» La barbarie est de tous les siècles !
Le court ouvrage intitulé La prédication apostolique et ses preuves, sorte d’exposé populaire de la foi chrétienne, ne fut retrouvée qu’en 1904, dans la lointaine Arménie russe, en traduction arménienne. Découverte qui fut célébrée par toute l’intelligentsia du monde.
Le savant A. von Harnack s’est fait lyrique pour en proclamer la qualité : «Tous les traits importants de la doctrine religieuse du traité Contre les hérésies se retrouvent ici. Irénée vit vraiment avec toute son âme, avec sa tête, son coeur, dans la foi de l’Église. Grande est l’impression que l’on ressent : c’est donc ainsi qu’à Lyon, à la fin du IIe siècle, le peuple chrétien était instruit et gouverné.» [PAGE 12] Puis il ajoute : «Ailleurs on glane, ici on moissonne à pleines mains.»
Il importait de permettre au peuple chrétien d’aujourd’hui de s’instruire auprès du même pasteur et de rendre accessible à nouveau à tous un livre écrit « pour ceux qui s’intéressent à leur salut ». C’est la raison d’être de notre édition.
La prédication apostolique des apôtres peut satisfaire les curiosités les plus diverses, celle de l’arméniste, celle de l’historien. Le croyant pour qui nous le publions y trouvera l’enseignement essentiel de la foi, la catéchèse traditionnelle, proche du De catechizandis rudibus d’Augustin. D’avoir accueilli cette foi a permis aux martyrs de Lyon d’affronter la mort avec l’espérance de la résurrection.
Homme de gouvernement mais aussi vecteur de charismes, Irénée est fils de l’Église, aussi bien chez lui à Rome qu’à Éphèse. La responsabilité de l’église de Lyon ne l’empêche pas de porter la sollicitude de toute l’Église, avec ses conflits et ses pesanteurs. Il sait – et il nous le répète – que ce corps ecclésial est habité et embaumé par l’Esprit. Irénée se meut et s’épanouit dans la foi, avec l’émerveillement des commencements, la jubilation de la découverte neuve, loin de la gnose des innovateurs.
Ce qui frappe à première lecture dans l’exposé de la foi est son inspiration scripturaire. « La Bible lue, méditée, convertie en sang et nourriture, lui fournit la substance et la forme de sa pensée. » Parmi les prophètes, Isaïe éclipse tous les autres. Une fois de plus le lecteur s’étonnera du peu de place qu’occupe Jérémie. Le Nouveau Testament passe à l’arrière-plan.
Irénée est particulièrement marqué par l’enseignement de Jean et de Paul, celui de leurs disciples immédiats appelés presbytres. Il connaît la littérature qui l’a précédé, dépend des apologistes, au point que l’Allemand F. Loofs a voulu lui dénier toute originalité. Autant reprocher à Bach d’exister par Vivaldi !
Il est fort possible comme l’a montré P. Prigent, qu’Irénée utilise un traité de Justin contre les hérésies, aujourd’hui perdu. Ce qui peut expliquer une certaine incohérence du [PAGE 13] plan, avec des redites et des digressions. Il utilise en transformant, avec l’acuité de son génie, grâce à son regard créateur qui plonge « au plus intime du centre incandescent ».
L’écrit se place à la fin de l’âge apostolique. Le danger du gnosticisme s’y fait sentir (§ 2. 8. 11. 38. 44. 45. 46. 97. 99). Les chrétiens sont persécutés, Lyon se souvient de ses martyrs (§ 17. 48). Le judaïsme renâcle devant l’essor missionnaire de l’Église (§ 95). Ce qui astreint les chrétiens à une relecture des prophéties, et donne au livre un caractère d’apologie.
La manière d’exposer la Bible surprend le lecteur moderne, parce qu’elle repose entièrement chez Irénée comme chez ses prédécesseurs, Justin en particulier, sur la lettre des textes et leur correspondance littérale. Il suffit de s’en rapporter à l’arsenal apologétique de la IIe partie. La première suit l’histoire du salut, en l’expliquant historiquement et théologiquement, de manière à confirmer dans la seconde le parallèle entre la promesse et l’accomplissement. De fait une parole de l’Ancien Testament est inachevée pour Irénée, sans l’achèvement dans le Christ.
Exégèse qui reste dominante jusqu’à la Cité de Dieu et au Moyen Age. Elle empêche Irénée, si soucieux du déroulement historique d’en entrevoir toutes les consonantes et d’en tirer toutes les conséquences. Les prophéties sont conçues en dehors du temps, sans lien avec leur enracinement et leur situation contemporaine. Ce qui lie avec excès le Christ à la lettre du texte, ne fait pas suffisamment ressortir la liberté des causes secondes et oblige Irénée à prêter à Abraham une lumière néotestamentaire pour interpréter trinitairement la visite des trois anges (§ 24. 44 : cf. Gn 18, 1). L’exégèse moderne comblera cette lacune accidentelle, chez Irénée, tout en en retenant l’intuition fondamentale.
«Nous lisons tout le livre avec respect, un certain nombre de pages avec admiration et même avec une commotion intérieure.» Il est difficile de surestimer la doctrine d’Irénée, clairement et sereinement exposée ici. Elle [PAGE 14] refait l’unité entre l’exégèse, les vérités dogmatiques et la vie spirituelle, comme le montre l’esquisse qui suivra le texte. L’évêque de Lyon a su éviter les mirages de la fausse connaissance et se placer hors du courant platonicien qui va caractériser la théologie grecque et occidentale.
Irénée met l’accent sur la création glorieuse de Dieu, sur l’œuvre merveilleuse de l’économie temporelle du salut, à l’abri de tout dualisme, de tout manichéisme, dans la vision du ressaisissement universel. On pourrait lui appliquer le mot de Paul Valéry, qui opposait à la mobilité des apparences, ce qui demeure : « Les événements sont l’écume des choses, c’est la mer qui m’intéresse. » Pour ceux qui savent dépasser l’écume, cette mer s’ouvre devant eux.
A.-G. Hamman, 1977
[PAGE 17] PROLOGUE
1. Je connais, mon cher Marcianus, ta ferveur en ce qui touche à la piété, seule voie, du reste, qui conduise l'homme à la vie éternelle: aussi, je partage ta joie et je prie pour que ton attachement inébranlable à la foi te rende agréable à Dieu, ton créateur. Que ne nous est-il donné d'être toujours ensemble, de nous aider mutuellement et d'alléger les occupations de la vie d'ici-bas par des causeries fréquentes sur des sujets utiles! Toutefois, comme à l'heure actuelle nous sommes loin l'un de l'autre, nous ne pouvons que nous entretenir un peu par lettre, et nous nous hâtons de le faire et de t'exposer en abrégé la prédication de la vérité, afin de t'affermir dans la foi. Nous t'envoyons donc une sorte de mémoire sur les points les plus importants, afin que par ce peu tu arrives à beaucoup; grâce à cet abrégé, tu saisiras l'ensemble de ce corps de vérité, et ce résumé te fournira les preuves des dogmes divins [NOTE 1].
Ainsi pourras-tu recueillir des fruits de salut et confondre tous ceux qui sont dans l'erreur. Par là-même, à quiconque voudra connaître notre foi, tu feras avec pleine assurance parvenir une parole saine et irréprochable. Pour tous ceux, en effet, qui voient, il n'est manifestement qu'un seul chemin illuminé par la lumière céleste; mais ceux qui ne voient pas se trouvent en face de plusieurs routes ténébreuses et opposées. C'est le premier chemin qui conduit au royaume du ciel, en unissant l'homme à Dieu; les autres mènent à la mort, parce qu'ils éloignent l'homme de Dieu [NOTE 2]. Il est donc nécessaire [PAGE 18] pour toi et pour tous ceux qui se préoccupent du salut de leur âme, de marcher, sans dévier jamais, avec ardeur et fermeté à la lumière de la foi, de crainte qu'en se relâchant et en s'arrêtant en route, on ne reste engagé dans les passions grossières, ou qu'on ne se fourvoie et on ne s'écarte de la voie droite.
Foi et œuvres
2. L'homme étant un être vivant, composé d'âme et de corps, il faut tenir compte des deux éléments. Et comme de part et d'autre peuvent venir des chutes, on distingue la sainteté du corps qui pratique la continence, réprime les appétits coupables et proscrit les actes mauvais, et la sainteté de l'âme, qui consiste dans l'intégrité de la foi en Dieu, sans rien y ajouter ni rien en retrancher. Car la piété se flétrit et se corrompt par la souillure et l'impureté du corps; elle se brise, se souille, perd son intégrité, quand l'erreur pénètre l'âme. La piété conservera sa splendeur et sa beauté aussi longtemps que la vérité demeurera dans l'âme et la pureté dans le corps. Que sert de connaître le vrai en paroles, si l'on profane son corps, par des actes dégradants? A quoi bon posséder la sainteté du corps, si la vérité n'habite pas l'âme? Car elles se réjouissent l'une de l'autre, elles s'harmonisent et unissent leurs efforts pour mener l'homme devant Dieu.
Aussi le Saint-Esprit nous dit par la bouche de David: «Heureux l'homme qui ne marche pas suivant le conseil des méchants» (Ps 1, 1), c'est-à-dire le conseil des païens qui ne connaissent pas Dieu; car sont impies ceux qui n'adorent pas Dieu, l'Etre réel, selon ce que le Verbe dit à Moïse: «Je suis l'Etre» (Ex 3, 14). Or, ceux qui n'adorent pas Dieu, Celui qui est, sont des impies.
«Heureux qui dans la voie des pécheurs ne se tient.» Sont pécheurs ceux qui connaissent Dieu mais ne gardent pas ses commandements; c'est-à-dire les méprisent. «Heureux qui ne s'est pas assis dans la chaire de pestilence.» Ils répandent la peste les hommes viciés par une doctrine fausse et perverse: non seulement ils se corrompent mais [PAGE 19] ils corrompent les autres. Le mot chaire signifie école. Tels sont les hérétiques «assis dans la chaire de pestilence», ils distillent le venin de leur doctrine à ceux qui les écoutent.
La règle de foi
3. Tel ne sera pas notre sort, si nous tenons la règle de foi [NOTE 3] inaltérable, si nous accomplissons les commandements de Dieu, en croyant en lui, en le craignant, parce qu'il est le Maître, en l'aimant parce qu'il est Père. Ce comportement est le fruit de la foi, «si vous ne croyez pas, dit Isaïe, vous ne comprendrez pas non plus» (Is 7, 9).
La vérité mène à la foi, car la foi se fonde sur la réalité des choses, afin que nous croyions aux êtres tels qu'ils sont, et qu'en croyant de la sorte, nous gardions toujours à leur égard la fermeté de nos convictions. Or, comme ce qui concerne notre salut dépend de la foi, il est nécessaire d'en avoir le plus grand soin pour trouver le véritable sens des choses.
[PAGE 21]
I. EXPOSÉ DE LA PRÉDICATION DES APÔTRES
[PAGE 23] Dieu et la création
4. Or, voici ce que nous assure la foi telle que les presbytres, disciples des apôtres, nous l'ont transmise. Tout d'abord, elle nous oblige à nous rappeler que nous avons reçu le baptême pour la rémission des péchés, au nom de Dieu le Père, et au nom de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui s'est incarné, est mort et est ressuscité, et dans l'Esprit saint de Dieu. Par elle, nous savons que ce baptême est le sceau de la vie éternelle et la régénération en Dieu, afin que nous soyons, non plus seulement les fils des hommes mortels, mais aussi les enfants de ce Dieu éternel et indéfectible. Nous devons nous rappeler que Dieu est l'être éternel, qu'il est au-dessus de toutes les choses créées; tout est placé sous son domaine. Tout ce qui dépend de lui a été créé par lui. Dieu n'est pas maître et seigneur de biens d'autrui mais de ce qui lui appartient. Tout est à lui. Voilà pourquoi Dieu est le Maître souverain et tout vient de lui.
Trinité et création
En effet, les choses créées tirent nécessairement le principe de leur existence d'une cause première. Or Dieu est le principe de tout, parce qu'il n'a été créé par personne et que tout a été créé par lui. Il est donc nécessaire d'admettre qu'il y a un Dieu, Père, qui a fait et façonné toutes choses, qui a mené à l'existence, qui contient tout et que rien n'étreint. Ce tout comprend également l'univers, et dans l'univers, l'homme. Or l'univers a été créé par Dieu.
5. Voici donc l'exposé de la doctrine. Un seul Dieu, le Père, incréé, invisible, créateur de tout, au-dessus duquel il n'y a pas d'autre Dieu. Ce Dieu est intelligence, et c'est [PAGE 24] pourquoi il a fait les créatures par le Verbe. Et Dieu est esprit, aussi est-ce par l'Esprit qu'il a embelli toutes choses, comme dit le prophète: «Par la Parole du Seigneur, les cieux ont été créés, et dans son Esprit est toute leur force» (Ps 32, 6). C'est le Verbe qui pose la base, c'est-à-dire qui travaille pour donner à l'être sa substance et le gratifie de l'existence, et c'est l'Esprit qui procure à ces différentes forces leur forme et leur beauté; c'est donc avec justesse et convenance que le Verbe est appelé Fils, tandis que l'Esprit est appelé Sagesse de Dieu. Aussi l'apôtre Paul dit très justement: «Un seul Dieu, le Père, qui est au-dessus de tous, et par tous et en nous tous» (Ep 4, 6). En effet, celui qui est au-dessus de tous, c'est le Père; mais celui qui est avec tous, c'est le Verbe, puisque par son moyen tout a été fait par le Père; et celui qui est en nous tous, c'est l'Esprit, qui crie: «Abba, Père!» (Ga 4, 6) et qui façonne l'homme à la ressemblance de Dieu. Or, l'Esprit montre le Verbe, et pour cette raison, les prophètes annonçaient le Fils de Dieu. Mais le Verbe sert de lien à l'Esprit; et c'est pourquoi l'interprète des prophètes, c'est lui: il a conduit et élève l'homme jusqu'au Père.
Les trois articles de la foi
6. Voici la règle de notre foi, la base de l'édifice et le fondement de notre conduite: Dieu le Père, incréé, insaisissable, invisible, Dieu unique, créateur de tout: c'est le premier article de notre foi. Quant au second, le voici: c'est le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, notre Seigneur, qui est apparu aux prophètes en la forme décrite dans leurs oracles, et selon l'économie [NOTE 4] du Père. Par lui tout a été fait; à la fin des temps pour récapituler et contenir toutes choses, il s'est fait homme, né des hommes, il s'est rendu visible et palpable, afin de détruire la mort et de manifester la vie et rétablir l'union entre Dieu et l'homme.
[PAGE 25]
Quant au troisième article, c'est le Saint-Esprit, par qui les prophètes ont prophétisé, les pères ont appris les choses divines, les justes ont été guidés, dans la voie de la justice; c'est lui qui dans les derniers temps a été répandu d'une manière nouvelle sur l'humanité, pour ramener à Dieu l'homme renouvelé sur toute la terre.
Du baptême à la Trinité
7. Pour cette raison, lors de notre nouvelle naissance, le baptême évoque ces trois articles, en nous faisant renaître en Dieu le Père, par la médiation de son Fils, avec le Saint-Esprit. Car ceux qui portent l'Esprit de Dieu sont amenés au Verbe, c'est-à-dire au Fils, et le Fils les prend et les offre à son Père, et le Père leur communique l'incorruptibilité. Ainsi donc sans l'Esprit, on ne peut voir le Verbe de Dieu; et sans le Fils, nul ne peut arriver au Père; puisque la connaissance du Père, c'est le Fils, et la connaissance du Fils de Dieu s'obtient par le moyen de l'Esprit saint; mais c'est le Fils qui, par office, distribue l'Esprit, selon le bon plaisir du Père, à ceux que le Père veut et comme le Père le veut.
Dieu et Père
8. Et c'est par l'Esprit que le Père est appelé Très-Haut et Tout-Puissant et Seigneur des armées, afin de nous apprendre qu'il est lui-même, Dieu, le créateur du ciel et de la terre et de tout l'univers, l'auteur des anges et des hommes et le Seigneur de toutes choses, celui par lequel tout existe et tout reçoit sa nourriture; qu'il est miséricordieux, compatissant et plein de tendresse; qu'il est bon, juste; qu'il est le Dieu de tous, des Juifs, des Gentils et des croyants [NOTE 5]. Mais à l'égard des croyants, il est comme [PAGE 26] un Père, car à la fin des temps il a ouvert le Testament de la filiation adoptive. Par rapport aux Juifs, il est comme un Maître et un législateur; car au milieu des temps les hommes ayant oublié Dieu, s'étant éloignés de lui et révoltés contre lui, il les a mis en esclavage par le moyen de la loi, afin de leur apprendre qu'ils ont un Maître, créateur et principe, par qui nous sommes gratifiés d'un souffle de vie, et que nous lui devons un culte d'adoration, le jour et la nuit. A l'égard des Gentils, il est créateur et souverain. Mais en même temps il est pour tous nourricier, roi et juge; parce que personne ne peut échapper à son jugement, ni juif ni gentil, pas plus le croyant prévaricateur que l'ange.
Quant à ceux qui maintenant ne croient pas à sa bonté, ils connaîtront sa puissance au jour du jugement. A ce propos, le bienheureux apôtre dit: «Ignores-tu que la bonté de Dieu t'appelle à la pénitence? Par ton endurcissement et la dureté de ton cœur, tu amasses contre toi un trésor de colère pour le jour de la justice de Dieu, qui rendra à chacun selon ses œuvres» (Rm 2, 4-6).
C'est lui qu'on appelle dans la loi le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, Dieu des vivants, encore que la grandeur et la sublimité de ce Dieu soit inénarrable.
Les sept cieux [NOTE 6]
9. Or le monde est entouré de sept cieux, où habitent des puissances innombrables, les anges et les archanges qui sont les liturges du Dieu Tout-puissant et auteur de toutes choses. Non point que Dieu ait besoin des anges, mais il ne veut pas les laisser inactifs, inutiles. Pour cela l'esprit de Dieu est multiple dans son influence intérieure. Le prophète Isaïe, en énumérant les sept dons, parle de [PAGE 27] cet Esprit qui se reposera sur le Fils de Dieu, c'est-à-dire sur le Verbe au moment de son incarnation. Et en effet: «L'esprit de Dieu», dit-il, «se reposera sur lui, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de piété; l'Esprit le remplira de crainte de Dieu» (Is 11, 2). Or, le premier ciel, le plus élevé, celui qui contient les autres, c'est la sagesse; le second, c'est celui d'intelligence; le troisième, celui de conseil; et le quatrième, à partir d'en haut en descendant, c'est celui de force; et le cinquième, celui de science; et le sixième, celui de piété; et le septième est ce firmanent-ci, plein de la crainte de cet Esprit qui illumine les cieux. Or Moïse en a reçu l'image dans le candélabre à sept branches, qui était continuellement allumé dans le sanctuaire. En effet, il a établi le culte à l'image des cieux, ce pourquoi le Verbe lui dit: «Fais selon le modèle qui t'est montré sur la montagne» (Ex 25, 40).
Dieu et l'univers
10. Or ce Dieu est glorifié par son Verbe, qui est son Fils éternel; et par l'Esprit saint, qui est la sagesse du Père de tous. Et leurs puissances qu'on appelle Chérubins et Séraphins, glorifient Dieu par leur chant sans fin; et toutes les créatures célestes doivent rendre gloire à Dieu, le Père de tous. C'est lui qui, par son Verbe, a composé le monde entier et à ce monde appartiennent aussi des anges. Il a donné au monde entier des lois pour que chaque être se tînt à sa place sans dépasser les limites fixées par Dieu, et accomplît l'œuvre prescrite à chacun d'eux.
Création de l'homme (Gn 2-3) [NOTE 7]
11. Quant à l'homme, Dieu l'a créé de ses propres mains, en prenant de la terre la plus fine et la plus pure, et en unissant avec mesure sa force à la terre. A cet effet, [PAGE 28] il imprima sa propre ressemblance à sa créature, afin que jusque dans son aspect extérieur elle soit l'image de Dieu. Car l'homme créé a été placé sur la terre pour y être l'image de Dieu. Pour donner la vie à l'homme, Dieu souffla sur son visage, un souffle de vie, pour le rendre semblable à lui, dans son âme et dans son corps [NOTE 8].
L'homme fut créé libre et maître de ses actes, il fut destiné par ce même Dieu à commander à tout ce qui était sur la terre. Et cet univers immense, préparé par Dieu, avant de façonner l'homme, a été donné à l'homme comme un domaine pourvu de tout. En ce lieu, Dieu créateur de toutes choses avait également placé des serviteurs, ayant chacun son office particulier.
Un chiliarque ou administrateur était le gardien de ce lieu et était placé à la tête de ses compagnons de service. Ces serviteurs étaient des anges; quant au chiliarque-administrateur, c'était l'archange.
Le paradis
12. Or Dieu fit l'homme maître de la terre et de tout ce qu'elle renferme; il l'établit aussi secrètement maître des êtres qui devaient le servir. Mais tandis que ces derniers étaient dans toute leur force, le maître, c'est-à-dire l'homme, était encore petit; c'était un enfant qui devait encore grandir pour atteindre sa perfection. Pour qu'il pût vivre et croître en bien-être, Dieu lui avait préparé une contrée meilleure que ce monde, au point de vue de l'air, de la beauté, de la lumière, de la nourriture, des plantes, des fruits et des eaux; rien ne lui manquait de ce qui convient pour les besoins de la vie. Et cet endroit se nommait le Paradis. Et ainsi le Paradis était beau et bon. Le Verbe de Dieu s'y rendait tous les jours; il s'y promenait et s'entretenait avec l'homme, préfigurant les choses de l'avenir, c'est-à-dire qu'il habiterait et s'entretiendrait avec lui, et qu'il demeurerait avec les hommes [PAGE 29] pour leur enseigner la justice. Mais l'homme était un enfant [NOTE 9]; il n'avait pas encore le parfait usage de ses facultés, aussi fût-il facilement trompé par le séducteur.
Eve
13. Or tandis qu'Adam se promenait dans le Paradis, Dieu fit comparaître devant lui tous les animaux et lui prescrivit de donner un nom à chacun. Et chacun des êtres vivants reçut le nom que lui avait donné Adam. Dieu résolut aussi de donner une aide à l'homme. Il lui dit donc: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide qui lui soit assortie» (Gn 2, 18). Car parmi tous les vivants aucun ne fut égal, proportionné et semblable à Adam.
Dieu lui-même envoya une extase à Adam et l'endormit; jusque-là il n'avait pas existé de sommeil au paradis, il tomba sur Adam par la volonté de Dieu, pour accomplir une œuvre à partir d'une autre œuvre. Et Dieu prit une côte d'Adam et il reforma la chair à sa place; et de la côte qu'il avait tirée, il fit la femme; puis il la présenta à Adam. A cette vue Adam s'écria: «Voici maintenant l'os de mes os, la chair de ma chair; celle-ci sera appelée femme, parce qu'elle vient d'un homme qui est le sien» (Gn 2, 23).
Innocence primitive
14. Adam et Eve – car tel était le nom de la femme – étaient nus et ils ne rougissaient pas, car ils n'avaient que des pensées pures et innocentes comme celles des enfants; rien n'entrait dans leur esprit et leur intelligence qui pût [PAGE 30] faire naître dans l'âme des désirs mauvais et des mouvements honteux. Ils gardaient l'intégrité de leur nature, car ce qui leur avait été insufflé au moment de la création était un souffle de vie. Or, tant que ce souffle conservait son intensité et sa force, il mettait leur pensée et leur esprit à l'abri du mal. C'est pourquoi ils ne rougissaient point s'ils s'embrassaient et se prodiguaient d'innocentes caresses, comme des enfants.
L'arbre de la connaissance
15. Mais afin que l'homme ne se crût pas trop grand et ne s'enflât point d'orgueil, comme s'il n'avait pas de maître à cause du pouvoir reçu sur l'univers et de la liberté, face à Dieu, son créateur, pour qu'il ne dépassât point les bornes à lui posées, en se gonflant de superbe, jusqu'à se révolter contre Dieu, une loi lui fut donnée par Dieu, afin de lui apprendre qu'il avait un maître, le Seigneur de toutes choses [NOTE 10].
Dieu lui traça quelques limites, afin que, s'il gardait les commandements de Dieu, il pût rester toujours dans l'état où il était, c'est-à-dire immortel; tandis que s'il n'y restait pas fidèle, il devînt sujet à la mort et retournât à la terre d'où il avait été tiré.
Et voici quel était le précepte: «Tu peux manger de tous les arbres qui sont dans le jardin, mais au seul arbre d'où vient la connaissance du bien et du mal, tu ne toucheras point. Du jour où vous en mangerez, vous mourrez sûrement» (Gn 2, 16-17).
La chute
16. L'homme n'observa pas ce commandement mais il désobéit à Dieu, égaré par l'ange. Celui-ci voyant les nombreuses faveurs que l'homme avaient reçues de Dieu, [PAGE 31] lui porta envie et en fut jaloux. Il se perdit lui-même et fit tomber l'homme dans le péché, en le persuadant de violer le commandement de Dieu.
Le chef et l'instigateur du péché, ce fut l'ange par fourberie; lui qui avait péché contre Dieu, fut frappé, et il fit chasser l'homme du Paradis. Et parce que, suivant ses penchants, il s'était révolté et avait abandonné Dieu, il s'appelait Satan, selon l'expression hébraïque, ce qui signifie révolté; mais c'est celui-là même qui est aussi appelé diable. Or, Dieu maudit le serpent, qui avait servi de suppôt au diable, et cette malédiction atteignit la bête elle-même, ainsi que Satan, l'ange qui s'était caché et lové en elle. Puis il chassa l'homme loin de sa présence, l'exila et le fit habiter sur le chemin allant vers le Paradis, car le pécheur n'est pas reçu dans le Paradis.
LA MARCHE VERS LE SALUT
Caïn et Abel (Gn 4)
17. Une fois chassés du Paradis, Adam et Eve, sa femme, connurent de nombreuses afflictions corporelles et spirituelles, passant leur vie dans la douleur, les travaux et les gémissements. En effet, l'homme travaillait la terre, sous la brûlure du soleil; elle produisait des épines et des ronces, châtiment du péché.
Alors s'accomplit ce qui est écrit: «Adam connut sa femme, et elle conçut et enfanta Caïn; et après celui-ci elle enfanta Abel» (Gn 4, 1). Mais l'ange rebelle qui avait entraîné l'homme à la désobéissance, qui l'avait rendu pécheur et qui avait été cause de son expulsion du Paradis, ne se contenta pas de ce premier mal, il en fit commettre un second entre les deux frères. Car, ayant rempli Caïn de son esprit, il le rendit fratricide. Ainsi mourut Abel, tué par son frère; et par là il était signifié que quelques-uns seraient persécutés, opprimés et tués, mais que ce seraient les méchants qui tueraient et persé-[PAGE 32]cuteraient les justes. Là-dessus, la colère de Dieu s'aggrava; il maudit Caïn, et il arriva que toute sa race, de génération en génération, devint semblable à son père. Et Dieu suscita à Adam un autre fils, à la place d'Abel qui avait été tué.
Les Géants [NOTE 11]
18. Et le mal, se répandant et se propageant de plus en plus, finit par atteindre toute la race humaine, au point qu'il ne restât plus parmi eux que quelque rare semence de justice. Et en effet, des unions illégitimes avaient lieu sur la terre; des anges ayant eu commerce avec les filles des enfants des hommes, celles-ci leur donnèrent des enfants qui, à cause de leur taille extraordinaire, furent appelés fils de la terre c'est-à-dire géants. Or, les anges firent présent à leurs femmes de leçons de malice, car ils leur enseignèrent les vertus des plantes et des légumes, l'emploi des couleurs et le fard, la découverte des matières précieuses, la magie, les haines, les amours, les passions, les philtres d'amour, les secrets de la sorcellerie, toute sorte de divination et d'idolâtrie que Dieu déteste: tout cela, en pénétrant dans le monde, y répandit un torrent de maux, et la justice alla en s'affaiblissant.
Le déluge (Gn 6)
19. Quand la justice de Dieu, pour châtier le monde, déchaîna le déluge, dix générations après la création du premier homme, il ne se trouvait qu'un seul juste, Noé. A cause de sa justice, il fut sauvé, et avec lui sa femme et ses trois fils, ainsi que les trois femmes de ses fils; ils furent enfermés dans l'arche avec tous les animaux que [PAGE 33] Dieu avait désignés à Noé pour les y introduire avec lui. Et comme le fléau destructeur s'était étendu à tout, aux hommes et aux êtres vivants, qui étaient sur la terre; ceux qui étaient dans l'arche furent sauvés. Les trois fils de Noé étaient Sem, Cham et Japhet, par qui la race humaine se multiplia de nouveau; ils furent la souche des hommes après le déluge.
Malédiction de Cham
20. Mais l'un d'eux tomba sous le coup des malédictions; les deux autres héritèrent de la bénédiction à cause de leurs œuvres. En effet, le plus jeune d'entre eux, appelé Cham, se moqua de son père; et à cause de l'insulte et du mépris témoigné à son père, il fut condamné pour péché d'impiété, et maudit, et il fit retomber les malédictions sur tous ceux qui naquirent de lui: il arriva donc que toute sa race après lui fut maudite, s'accrut et se multiplia dans le péché. Au contraire, Sem et Japhet, ses frères, à cause de leur piété filiale envers leur père, furent comblés de bénédictions. Or, la malédiction de Cham, lancée contre lui par son père Noé, était celle-ci: «Maudit soit le jeune Cham, qu'il soit l'esclave de ses frères» (Gn 9, 25).
Ses enfants eurent une nombreuse postérité sur la terre; au cours de quatorze générations, ils eurent une descendance, jusqu'au jour où elle fut moissonnée par Dieu, qui lui fit subir sa condamnation. Car les Cananéens, les Hétéens, les Phéréziens, les Hévéens et les Amorrhéens, les Gergésiens et les Jébuséens, comme les habitants de Sodome, de l'Arabie et de la Phénicie, tous les Égyptiens et les Lydiens sont de la race de Cham: sur eux tombèrent les malédictions qui frappèrent longtemps les impies.
Bénédiction de Sem et de Japheth (Gn 9)
21. De même que la malédiction suivit son cours, ainsi la bénédiction alla s'étendant sur la postérité bénie, à l'égard de chacun selon son rang. Sem, le premier d'entre eux, fut béni en ces termes: «Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem! Et Cham sera son serviteur» (Gn 9, 26). L'efficacité de cette bénédiction se manifesta en ce que [PAGE 34] Dieu, le Seigneur de tous, devint la possession privilégiée de la piété de Sem. Cette bénédiction fleurit, en parvenant à Abraham, qui, dans la descendance de Sem, occupe la dixième place, dans l'ordre généalogique.
C'est pourquoi, le Père et le Dieu de tous s'est complu de s'appeler le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob, car ce fut sur Abraham que s'étendit la bénédiction de Sem. Quant à la bénédiction de Japhet, la voici: «Que Dieu donne de l'espace à Japhet et le fasse habiter dans la maison de Sem. Et que Cham soit son esclave» (Gn 9, 27). Ce qui veut dire: Cette bénédiction a fleuri à la fin des temps, lorsque le Seigneur s'est manifesté dans la vocation des Gentils, Dieu ayant étendu jusqu'à eux son appel. En effet: «Leur voix s'est étendue à toute la terre et leur parole jusqu'aux extrémités du monde» (Ps 18, 5). Or, les mots «donner de l'espace» signifient la vocation des Gentils, c'est-à-dire l'Église, et les mots «Japhet habitera dans la maison de Sem» signifient qu'il habitera dans l'héritage des pères, ayant reçu en Jésus-Christ les droits d'aînesse. Or, c'est dans l'ordre où chacun a été béni qu'il reçoit par voie de descendance, le fruit de la bénédiction.
L'alliance avec Noé (Gn 9)
22. Mais après le déluge, Dieu s'engagea par serment vis-à-vis de l'univers, et principalement vis-à-vis des animaux et des hommes, à ne plus détruire par un déluge tout ce qui renaîtrait sur la terre; et il leur donna un signe: «Lorsque j'aurai couvert le ciel d'un nuage, l'arc apparaîtra dans la nue et je me souviendrai du serment de mon alliance, et je ne détruirai plus par l'eau toute chair qui se meut sur la terre» (Gn 9, 14-15). Et il modifia la nourriture de l'homme, et lui permit de manger de la viande; car depuis la création d'Adam jusqu'au déluge les hommes ne se nourrissaient que de semences et des fruits des arbres; il ne leur était pas permis de manger de la viande. Comme les trois fils de Noé étaient la souche de la race humaine, Dieu les bénit pour qu'ils se multi-[PAGE 35]pliassent et s'accrussent, en disant: «Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre et soyez-en les maîtres. Vous serez craints et redoutés de tout animal de la terre et de tout oiseau du ciel; et ils vous serviront de nourriture, comme les légumes. Seulement vous ne mangerez point de viande avec le sang de sa vie. Et votre sang à vous j'en demanderai compte à tout animal et à l'homme. Quiconque aura versé le sang de l'homme, son sang sera versé en compensation; car Dieu a fait l'homme à son image» (Gn 9, 1-6). L'image de Dieu, c'est le Fils, à la ressemblance duquel l'homme a été fait. Et c'est pour cela qu'il (le Fils) est apparu à la fin des temps, pour montrer que son image lui ressemble. Après ce pacte, la race humaine issue de ces trois enfants se multiplia; et la terre n'avait qu'une seule lèvre, c'est-à-dire une seule langue.
Babel (Gn 11)
23. Or les hommes, s'étant levés, s'éloignèrent de ce pays d'Orient; et tandis qu'ils s'avançaient dans leur marche, ils arrivèrent dans l'immense plaine de Sinnaar. Là ils entreprirent de bâtir une tour, au moyen de laquelle ils espéraient pouvoir s'élever jusqu'au ciel, laissant ainsi un monument qui perpétuât leur souvenir auprès des générations suivantes. L'édifice était fait de briques et d'asphalte. Et leur audacieuse témérité s'accroissait d'autant plus qu'auprès d'hommes ayant tous la même idée et le même but, l'unité de langue les aidait puissamment à réaliser un dessein si bien arrêté. Or, Dieu, ne voulant pas que l'œuvre pût être achevée, divisa leur langue, en sorte qu'ils ne purent plus s'entendre. Et ainsi divisés, ils se séparèrent et prirent possession du monde. Ils habitaient par groupes, par tribus, chacun selon sa langue particulière: de là tant de peuplades et de langues différentes sur la terre. Or comme trois races d'hommes avaient pris possession de la terre et que l'une d'elles était sous le coup de la malédiction, deux avaient été bénies, et la première [PAGE 36] bénédiction fut pour Sem, dont la postérité habitait l'Orient et occupait le pays des Chaldéens.
Abraham, Isaac et Jacob (Gn 12)
24. Plus tard, c'est-à-dire à la dixième génération, après le déluge, nous trouvons Abraham qui cherche Dieu, lui revient et lui appartient à cause de la bénédiction de son premier père. Et comme selon l'inclination et le goût de son âme, il parcourait le monde, se demandant où était Dieu, au moment de faiblir dans ses recherches, Dieu prit en pitié le seul homme, qui, dans le secret, le cherchait. Il se montra à Abraham, par le moyen du Verbe, comme par un rai de lumière, et se fit connaître. Car du ciel il lui adressa la parole et lui dit: «Éloigne-toi de ton pays et de ta race et de la maison de ton père; viens et passe dans le pays que je montrerai et habite là» (Gn 12, 1). Et ajoutant foi à la voix du ciel, alors qu'il était déjà d'un âge mûr, qu'il avait soixante-dix ans et qu'il était marié, il sortit de la Mésopotamie avec sa femme, et emmena avec lui Loth, fils de son frère défunt.
Et quand il fut arrivé dans le pays appelé maintenant la Judée, alors qu'elle était habitée par sept peuplades de la race de Cham, Dieu lui apparut encore et lui dit: «Je te donnerai cette terre à toi et à ta postérité pour la posséder à jamais» (Gn 12, 2). Et il lui prédit que sa postérité serait errante dans un pays qui ne serait pas le sien, qu'elle y serait maltraitée, réduite aux souffrances et à l'esclavage pendant quatre cents ans; à la quatrième génération, elle retournerait dans la terre promise à Abraham, car Dieu avait condamné cette nation qui avait réduit en servitude sa postérité.
Et afin qu'Abraham connût non seulement la fécondité mais encore la gloire de sa race, Dieu, pendant la nuit, le fit sortir de sa tente et lui dit: «Lève les yeux au ciel, regarde et compte, si tu peux, les astres du firmament; il en sera ainsi de ta postérité» (Gn 15, 5). Et Dieu voyant qu'Abraham n'hésitait pas et croyait de toute son âme, il lui rendit témoignage par l'Esprit saint en disant dans [PAGE 37] l'Écriture: «Et Abraham crut, et cela lui fut imputé à justice» (Gn 15, 6). Il était incirconcis, quand ce témoignage fut rendu. Et pour que la supériorité de sa foi fût connue par un signe, il lui donna la circoncision, sceau de la justice qu'avait obtenue par la foi celui qui était incirconcis. Après cela Sara, qui était stérile, lui donna un fils, Isaac, selon la promesse de Dieu; et il le circoncit d'après le pacte que Dieu avait conclu; et Isaac engendra Jacob. Et ainsi l'antique bénédiction accordée à Sem au commencement fut transmise à Abraham, et d'Abraham à Isaac, et d'Isaac à Jacob, par l'Esprit, qui les faisait participer à l'héritage. C'est pourquoi Dieu fut appelé le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. Et Jacob engendra douze enfants, qui donnèrent leur nom aux douze tribus d'Israël.
L'Égypte et la pâque (Ex 12)
25. La famine s'abattit sur toute la terre, et il arriva qu'il n'y eut plus de vivres qu'en Égypte. Alors Jacob quitta son pays et vint avec toute sa famille habiter en Égypte. Et le nombre de tous ces émigrants était de soixante-quinze personnes; et en quatre cents ans, comme l'oracle l'avait prédit, il s'éleva à six cent soixante mille. Et comme ils étaient accablés de tribulations et de mauvais traitements sous le joug d'un dur esclavage, et comme ils gémissaient et poussaient des cris vers Dieu, le Dieu de leurs pères Abraham, Isaac et Jacob, ce même Dieu les tira d'Égypte par le moyen de Moïse et d'Aaron, et il frappa les Égyptiens de dix plaies. La dernière plaie fut d'envoyer un ange exterminateur qui fit périr tous les premiers-nés, hommes et animaux. Il sauva donc la vie aux enfants d'Israël, et il révéla mystérieusement la passion du Christ [NOTE 12] en ordonnant d'immoler un agneau [PAGE 38] sans tache, dont le sang devait servir aux Hébreux pour oindre les portes de leurs maisons et les préserver du châtiment. Et le nom de ce mystère est la Passion, cause de la délivrance. Et Dieu divisa la mer Rouge et prit toutes sortes de mesures pour conduire les enfants d'Israël au désert. Quant aux Égyptiens qui, en les poursuivant, étaient aussi entrés dans la mer, ils périrent tous. C'est ainsi que Dieu châtia ceux qui avaient maltraité injustement la descendance d'Abraham.
La loi (Ex 19)
26. Et dans le désert, Moïse reçut de Dieu la loi, les dix commandements, écrits par le doigt de Dieu sur les tables de pierre (dans l'Esprit saint), puis les préceptes de la loi et le droit qu'il prescrivit de garder aux enfants d'Israël. Et sur l'ordre de Dieu, il fit le tabernacle, une œuvre visible sur la terre, à l'image de ce qui est spirituel et invisible dans le ciel, figure de l'Église, et prophétie des choses futures. Il comprenait les vases, les autels et l'arche avec les tables. Il établit également les prêtres, Aaron et ses enfants, et il confia le sacerdoce à toute sa famille: ils étaient les descendants de Lévi. Ce fut par ordre de Dieu qu'il désigna toute cette même tribu pour remplir les fonctions du culte, dans le temple de Dieu. Il leur donna la loi du Lévitique, pour leur indiquer les qualités et la conduite exigées de ceux qui sont continuellement occupés aux fonctions du ministère dans le temple de Dieu.
Le peuple dans le désert (Jos 2)
27. Et lorsque les Hébreux furent proches de la terre que Dieu avait promise à Abraham et à sa postérité, Moïse choisit un homme de chaque tribu, qu'il envoya explorer le pays, les villes de la contrée et leurs habitants. C'est alors que Dieu lui révéla le nom de celui qui devait être l'unique Sauveur de tous ceux qui croiraient en lui. Moïse changea donc le nom d'Osée, fils de Navé, l'un des envoyés [PAGE 39] et le nomma Jésus [NOTE 13]. Puis il l'envoya avec toute la puissance de ce nom, persuadé que sous cette égide, ils reviendraient sains et saufs. Ce qui arriva en effet.
Lorsque les envoyés revinrent de leur exploration et de leurs recherches, rapportant une grappe de raisin, quelques-uns de ces douze épouvantèrent toute l'assemblée, en disant qu'ils avaient trouvé de très grandes villes, protégées de forteresses, et que les habitants de ces pays étaient des géants, fils de géants, de sorte qu'il leur était impossible de se rendre maîtres de cette contrée. Sur quoi, tout le peuple se mit à pleurer, doutant que Dieu leur donnerait la force et soumettrait tout à leur pouvoir. Ils ajoutèrent que ce méchant pays ne valait pas la peine qu'on s'exposât à tant de dangers pour le conquérir. Mais deux d'entre les douze, savoir Jésus, fils de Navé, et Caleb, fils de Jéphonia, témoins du mal produit par ces discours, déchirèrent leurs vêtements, suppliant le peuple de ne pas se laisser décourager et de ne pas livrer leurs cœurs à l'abattement, parce que Dieu avait livré ces nations entre leurs mains et parce que cette terre était extrêmement fertile. Le peuple ne se laissant pas persuader, mais persistant dans son incrédulité, Dieu détourna et changea leur itinéraire; il les fit errer dans le désert pour les éprouver et les châtier. Et comme les espions avaient mis quarante jours pour aller explorer le pays et en revenir, de même Dieu, en fixant une année pour chaque jour, les retint quarante ans dans le désert. Et aucun de ceux qui avaient l'âge accompli et le plein usage de la raison, ne fut jugé digne d'entrer dans cette terre à cause de son incrédulité, à l'exception des deux qui avaient rendu un juste témoignage à cet héritage promis, savoir Jésus, fils de Navé, et Caleb, fils de Jéphonia, et de ceux qui étaient encore trop petits pour distinguer leur main droite de leur main gauche. Tout le peuple incrédule périt et se consuma dans le désert, subissant peu à peu la peine de son incrédulité. Mais durant ces quarante ans, les enfants se multiplièrent [PAGE 40] à ce point qu'ils purent combler les vides faits par le trépas de leurs pères.
Le Deutéronome
28. A l'expiration des quarante années, le peuple arriva près du Jourdain et, s'étant rassemblé, il dressa son camp en face de Jéricho. Là, Moïse, ayant réuni la multitude, récapitula tout ce qui était arrivé. Il raconta les merveilles que Dieu avait accomplies jusqu'alors, comment il avait élevé ceux qui s'étaient multipliés dans le désert et les avait formés à la crainte de Dieu et à l'observation de ses commandements. Tout ceci devint une sorte de nouvelle législation pour eux, ajoutée à celle qu'ils avaient auparavant. C'est ce qu'on a appelé le Deutéronome, lequel renferme beaucoup de prophéties relatives à notre Seigneur, Jésus-Christ, au peuple d'Israël, à la vocation des gentils et au royaume.
La Terre promise (Jos 4)
29. Et quand Moïse eut terminé le cours de sa vie, il lui fut dit de la part de Dieu: «Monte sur cette montagne, et meurs; car ce n'est pas toi qui introduiras mon peuple dans cette terre» (Dt 32, 48). Moïse mourut selon la parole du Seigneur, et il eut pour successeur Jésus, fils de Navé. Celui-ci, divisant le Jourdain, fit passer le peuple dans la terre promise, et après avoir subjugué et détruit les sept peuplades qui y habitaient, il la distribua au peuple. C'est là que se trouve Jérusalem, où régnèrent David et Salomon, son fils. Ce dernier bâtit le temple en l'honneur de Dieu, en prenant pour modèle le tabernacle qui avait été fait par Moïse, à l'image des réalités célestes et spirituelles.
Les prophètes
30. C'est là que Dieu envoya les prophètes, qui sous l'inspiration du Saint-Esprit réprimandaient le peuple et [PAGE 41] le ramenaient au Dieu de leurs pères, au Tout-Puissant. Ils annonçaient dans leurs oracles la manifestation de notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, en disant qu'il sortirait comme un bourgeon de la race de David, qu'il serait fils de David selon la chair, lequel descendrait d'Abraham, par une longue suite de générations. Selon l'esprit, il serait Fils de Dieu, étant au commencement auprès de son Père, engendré avant la constitution du monde, et manifesté à tout l'univers comme homme à la fin des temps, lui le Verbe de Dieu qui devait récapituler [NOTE 14] en lui-même tout ce qui est au ciel et sur la terre.
L'incorruptibilité [NOTE 15]
31. Or c'est Lui qui a uni l'homme à Dieu et qui a opéré la communion entre Dieu et l'homme. S'il n'était pas venu à nous, nous n'aurions pu d'aucune manière participer à l'incorruptibilité. Or cette incorruptibilité était invisible et cachée à nos yeux et ne nous servait de rien. Le Verbe s'est rendu visible pour nous rendre capables [PAGE 42] de participer pleinement à l'incorruptibilité. Comme nous par la création nous dépendons tous de notre premier père Adam, nous avons tous été enchaînés à la mort à cause de sa désobéissance; il était nécessaire de briser le joug de la mort par l'obéissance de celui qui s'était fait homme pour nous.
Adam et le Christ [NOTE 15bis]
32. Mais d'où notre premier père tient-il son être? De la volonté et de la sagesse de Dieu et de la terre vierge. «Car Dieu, dit l'Écriture, n'avait pas fait pleuvoir avant la création de l'homme, et il n'y avait pas d'homme pour travailler la terre.» Or, Dieu prit du limon de cette terre, tandis qu'elle était encore vierge, et il en créa l'homme qui fut la souche du genre humain. Le Seigneur voulant récapituler l'homme a suivi, en s'incarnant, la même économie. Il est né d'une Vierge, par la volonté et la sagesse de Dieu, afin qu'il fût bien évident qu'il avait un corps semblable à celui d'Adam, et qu'il était devenu ce qu'avait été au commencement l'homme, fait à l'image et à la ressemblance (cf. Gn 1, 27).
Les deux Eves [NOTE 16]
33. Ce fut à cause d'une vierge désobéissante que l'homme fut frappé, et après sa chute, devint sujet à la mort. De même, c'est à cause de la Vierge docile à la parole de Dieu que l'homme a été ramené à la vie et la recouvra. Le Seigneur est venu chercher la brebis perdue, c'est-à-dire l'homme qui s'était égaré. Ce pourquoi il ne s'est fait créature que par celle-là même qui était issue de la race d'Adam, et il en a gardé toute la ressemblance. En effet, il était nécessaire qu'Adam fût récapitulé dans [PAGE 43] le Christ afin que ce qui est mortel fût englouti par l'immortalité, qu'Eve fût restaurée en Marie, afin qu'une Vierge devenant l'avocate d'une vierge, la désobéissance de l'une fût détruite par l'obéissance de l'autre.
L'arbre de la connaissance et l'arbre de la croix [NOTE 17]
34. Et ce péché auquel le bois avait donné naissance a été effacé par le bois de l'obéissance, sur lequel a été cloué le Fils de l'homme, obéissant à Dieu; ainsi, en abolissant la science du mal, il a introduit et distribué la science du bien. Et comme le mal est de désobéir à Dieu, obéir à Dieu est le bien. Voilà pourquoi le Verbe parle par la bouche du prophète Isaïe, en révélant d'avance ce qui doit s'accomplir – puisque être prophète, c'est annoncer l'avenir. Or, le Verbe, par ce moyen, parle en ces termes: «Je ne refuserai pas et ne contredirai pas. J'ai présenté mon dos aux coups et mes joues aux soufflets, et je n'ai pas soustrait mon visage à d'ignominieux crachats» (Is 50, 6). Or, par l'obéissance qu'il a pratiquée jusqu'à la mort en étant attaché sur le bois, il a expié l'antique désobéissance provoquée par le bois.
Verbe Tout-puissant de Dieu, sa présence invisible s'étend à la création entière et en soutient la longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur: tout est gouverné par le Verbe de Dieu. Il a été crucifié, lui le Fils de Dieu, en ces quatre dimensions, lui dont l'univers portait déjà l'empreinte cruciforme. S'étant rendu visible, il devait nécessairement manifester de manière sensible, sur la croix, son action invisible. Car c'est lui qui illumine les hauteurs, c'est-à-dire les cieux, qui scrute les profondeurs de la terre; il parcourt l'étendue de l'Orient à l'Occident, il atteint l'immense espace du Nord au Midi, et appelle [PAGE 44] à la connaissance de son Père les hommes partout dispersés.
La promesse faite à Abraham s'accomplit [NOTE 18]
35. C'est Jésus qui a rempli la promesse faite par Dieu à Abraham, promesse de rendre sa postérité aussi nombreuse que les astres du ciel; le Christ, en effet, l'a accomplie, lui qui est né de cette Vierge descendant d'Abraham, lui qui forme ceux qui croient en lui à être des flambeaux dans le monde, lui qui par le moyen de cette foi justifie les Gentils aussi bien qu'Abraham. Car «Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice» (Ga 3, 6). Ainsi de nous; c'est par la foi en Dieu que nous sommes justifiés, puisque «le juste vivra par la foi» (Rm 3, 13). Or, «ce n'est pas en vertu de la Loi que la promesse a été faite à Abraham, mais en vertu de la foi» (Rm 4, 13). En effet, Abraham fut justifié par la foi et la loi n'a pas été établie pour le juste. De même pour nous, ce n'est pas la Loi qui nous justifie, mais c'est la foi qui a reçu le témoignage de la Loi et des prophètes; et cette foi, c'est le Verbe de Dieu qui nous la donne.
La promesse à David et la maternité de Marie
36. Et de même a-t-il rempli la promesse faite à David. Dieu lui avait promis de susciter du fruit de ses entrailles un Roi éternel, dont la royauté n'aurait pas de fin. Et ce Roi, c'est le Christ, le Fils de Dieu, qui est devenu fils de l'homme, c'est-à-dire qu'il a été conçu et enfanté par cette Vierge issue de la race de David. C'est pourquoi la promesse s'est accomplie par le fruit des entrailles; ce qu'il y a de particulier et d'unique dans cette naissance, c'est [PAGE 45] que l'enfant est le fruit de la conception particulière et unique d'une femme et non le fruit du vouloir charnel ni du sang mêlé, afin que soit manifeste ce fait singulier, spécial et unique: l'enfant est le rejeton d'une vierge, appartenant à la famille de David, il est roi pour l'éternité sur la maison de David et sa royauté ne connaîtra pas de fin.
Victoire du salut
37. C'est ainsi qu'il opérait glorieusement notre salut, qu'il accomplissait la promesse faite à nos pères et qu'il réparait l'antique désobéissance. Le Fils de Dieu devint donc fils de David et fils d'Abraham; car il a accompli la promesse, en récapitulant tout en lui pour nous rendre la vie. Le Verbe de Dieu s'est fait chair, grâce à la Vierge, afin de détruire la mort et de rendre la vie à l'homme. Car avant sa venue, nous étions dans les liens du péché, en naissant coupables et sujets à la mort.
Naissance, mort et résurrection du Christ [NOTE 19]
38. Ainsi donc Dieu le Père, plein de miséricorde, nous envoya le Verbe, créateur, descendu pour nous sauver. Il s'est manifesté à nous aux lieux mêmes où nous avons perdu la vie et a brisé les liens dans lesquels nous étions engagés. Sa lumière nous est apparue, elle a dissipé les ténèbres de notre prison et elle a sanctifié notre naissance, abolissant la mort et rompant les chaînes mêmes dans lesquelles nous étions enlacés. Et en opérant sa propre résurrection, il est devenu lui-même le premier-né d'entre les morts, il a ressuscité en lui l'homme déchu et l'a fait monter jusqu'au plus haut des cieux, jusqu'à la droite de la gloire du Père. Ainsi Dieu l'avait promis par son prophète en ces termes: «Et je relèverai la tente écroulée de David» (Am 9, 11), c'est-à-dire le corps qu'il tenait de [PAGE 46] David. Voilà ce que notre Seigneur Jésus-Christ a véritablement accompli, en opérant glorieusement notre salut. Il nous ressuscite véritablement, en nous ramenant sains et saufs auprès du Père.
Si quelqu'un n'admet pas la naissance d'une Vierge, comment admettra-t-il sa résurrection d'entre les morts? Car il n'y a rien d'étonnant, de merveilleux ni d'étrange à ce que celui qui n'a pas eu de naissance soit ressuscité des morts, mais nous ne pouvons pas parler de résurrection à son égard, puisque l'être exempt de naissance, l'immortel ne peut tomber sous les coups de la mort. Celui qui n'aurait pas le commencement de l'homme, comment pourrait-il en avoir la fin?
Le primat du Ressuscité
39. Il n'est pas né, il n'est pas mort non plus; et s'il n'est pas mort, il n'a pas non plus ressuscité de morts; et s'il n'est pas ressuscité des morts, il n'a pas triomphé de la mort et n'en a pas détruit l'empire; et si la mort n'a pas été vaincue, comment pourrons-nous nous élever jusqu'à la vie, nous qui, dès le commencement, sommes tombés sous les coups de la mort? Or, ceux qui n'admettent pas le salut de l'homme, qui ne croient pas que Dieu doive les ressusciter d'entre les morts, ceux-là méprisent aussi la naissance de notre Seigneur. Le Verbe de Dieu, ayant daigné se faire chair, s'est soumis à cette naissance pour nous, afin de montrer la résurrection de la chair et d'avoir la primauté sur tous au ciel. Car il est le premier-né au conseil du Père, le Verbe parfait, gouvernant tout et réglant tout par lui-même sur la terre; il est le premier-né de la Vierge, homme juste, saint, pieux, bon, agréable à Dieu, parfait en tout, sauvant de l'enfer tous ceux qui marchent à sa suite: il est le premier-né d'entre les morts et le guide qui conduit à la vie de Dieu.
[PAGE 47] De Moïse aux apôtres [NOTE 20]
40. Et c'est ainsi que le Verbe de Dieu a la primauté sur tout; car étant vrai homme, en même temps que le conseiller admirable et le Dieu fort, il a de nouveau appelé l'homme à jouir de l'union intime avec Dieu, afin que, grâce à cette communion avec lui, nous participions à son incorruptibilité. Or, celui qui est annoncé dans la Loi par Moïse et par les prophètes du Dieu très-haut et tout-puissant, le Fils du Père de l'univers, par qui tout a été fait, celui qui a parlé de Moïse, celui-là est venue en Judée, lui qui a été engendré de Dieu, par l'opération du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie, issue elle-même de la race de David et d'Abraham, c'est l'Oint de Dieu, Jésus qui a prouvé qu'il est bien le Messie annoncé d'avance par les prophètes.
41. Jésus-Christ a eu comme précurseur Jean-Baptiste, dont la mission a été de préparer et de former le peuple à la réception du Verbe de vie. Et Jean-Baptiste a déclaré que le Christ était celui-là même sur lequel reposa l'Esprit de Dieu uni à son corps. Disciples de Jésus et témoins de toutes ses bonnes œuvres et de son enseignement, témoins de sa passion, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension au ciel après sa résurrection selon la chair, les apôtres, fortifiés par l'Esprit saint, furent envoyés par lui dans le monde entier pour opérer la vocation des Gentils, montrer aux hommes le chemin de la vie, les arracher à l'idolâtrie, à la fornication et à la cupidité, et purifier leurs âmes et leurs corps par le baptême de l'eau et de l'Esprit saint. Les apôtres donc, après avoir distribué et communiqué aux croyants cet Esprit saint qu'ils avaient eux-mêmes reçu du Seigneur, ont établi et organisé l'Église [NOTE 21].
En répandant la foi, la charité et l'espérance, ils ont réalisé ce qui avait été annoncé d'avance par les prophètes, [PAGE 48] la vocation des païens. Aussi par le secours de leur ministère, ils ont rendu manifeste la miséricorde de Dieu, en admettant les païens à participer aux promesses faites aux pères. Ainsi donc ceux qui croient, qui aiment le Seigneur et vivent dans la sainteté, la justice et la patience, le Dieu de tous accordera la vie éternelle par la résurrection des morts, et cela par les mérites de celui qui est mort et ressuscité. Jésus Christ, à qui il a donné la royauté universelle, l'autorité et le pouvoir de juger les vivants et les morts. Les apôtres, en prêchant la parole de la vérité les ont instruits à garder leur corps pur et leur âme sans souillure pour la résurrection.
L'Esprit saint dans l'Eglise [NOTE 22]
42. Mais pour que les croyants se gardent tels, il faut que l'Esprit saint reste étroitement uni à eux. Donné par Dieu au baptême, l'Esprit saint demeure en celui qui le reçoit aussi longtemps qu'il vit dans la vérité et dans la sainteté, dans la justice et dans la patience. Car c'est aussi par la vertu de cet Esprit que les croyants ressusciteront, quand le corps sera de nouveau uni à l'âme et entrera dans le royaume de Dieu. Tels sont donc les fruits produits par la bénédiction de Japhet et manifestés par le moyen de l'Eglise, c'est-à-dire la vocation des païens, qui ont attendu patiemment d'entrer dans la maison de Sem, selon la promesse de Dieu. Par la voix des prophètes, l'Esprit de Dieu a annoncé d'avance que tout cela serait ainsi, afin d'affermir la foi en ceux qui adorent Dieu en vérité. Car ce qui est absolument impossible à notre nature et pour ce motif pouvait provoquer le doute parmi les hommes, Dieu l'a fait annoncer d'avance par les prophètes. Dès lors que la chose est annoncée depuis très longtemps et qu'elle s'accomplit finalement telle qu'elle a été prédite, nous pouvons en conclure que c'est Dieu seul qui nous a révélé d'avance notre salut.
[PAGE 49]
II. LES PREUVES DE LA PRÉDICATION DES APÔTRES : LE CHRIST, ACCOMPLISSEMENT DES ÉCRITURES [NOTE 23]
[PAGE 51] Le Fils de Dieu
43. En toutes choses, il est nécessaire de croire à la parole de Dieu, car Dieu est véridique en tout. Il faut croire particulièrement qu'il y a un Fils de Dieu et qu'il existe non pas seulement au moment où il va apparaître au monde, mais même avant la création du monde. Moïse, qui le premier l'a prédit, s'exprime ainsi en hébreu: «Baresith bara Eloïm basan bénouam samentharès», ce qui signifie: «Le Fils était au commencement; Dieu créa ensuite le ciel et la terre» (Gn 1, 1). C'est aussi ce que certifie le prophète Jérémie en ces termes: «Je t'ai engendré avant l'étoile du matin et ton nom est avant le soleil» (Ps 109, 3), et c'est avant la création du monde, puisque les astres ont été formés en même temps que le monde. Et le même prophète dit encore: «Heureux celui qui était avant de devenir homme.» Pour Dieu, en effet, le Fils était au commencement avant la création du monde, mais pour nous, c'est depuis qu'il nous est apparu. Auparavant pour nous, il n'était pas, car nous ne le connaissions pas. Pour cela son disciple Jean nous déclare qu'il est le Fils de Dieu, qu'il était auprès du Père avant que le monde fût, que par lui toutes les créatures existent et affirme: «Au commencement était le Verbe et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu; tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait» (Jn 1, 1-3). Il démontre évidemment que celui [PAGE 52] qui, au commencement, était le Verbe auprès du Père, celui par qui tout a été fait, c'est bien le même qui est son Fils.
Le Fils et Abraham [NOTE 24]
44. De nouveau Moïse dit que le Fils de Dieu est descendu auprès d'Abraham et s'est entretenu avec lui: «Et Dieu lui apparut sous le chêne de Mambré au milieu du jour. Et levant les yeux il regarda, et voilà que trois hommes se tenaient debout devant lui. Et s'étant prosterné en terre, il dit: Seigneur, si vraiment j'ai trouvé grâce à tes yeux» (Gn 18, 1-3). Et en tout ce qui suit il parle avec le Seigneur, et le Seigneur s'entretient avec lui. Or, deux de ces trois personnages étaient des anges; mais le troisième était le Fils de Dieu, avec lequel Abraham s'entretint, intercédant pour que les habitants de Sodome ne fussent pas détruits au cas où l'on pourrait y compter au moins dix justes. Et pendant qu'ils conversaient ensemble, les deux anges descendirent à Sodome, où ils furent reçus par Loth. Ensuite, l'Écriture ajoute: «Et le Seigneur fit pleuvoir du ciel sur Sodome et sur Gomorrhe du soufre et du feu de la part du Seigneur» (Gn 19, 24), c'est-à-dire le Fils, celui-là même qui parla à Abraham; en sa qualité de Seigneur, c'est de la part du Seigneur, du Père qui est le maître de tout, qu'il reçut le pouvoir de sévir contre les habitants de Sodome. Or, Abraham était prophète et il voyait les choses qui devaient se passer dans l'avenir, c'est-à-dire le Fils de Dieu qui, sous une forme humaine, devait s'entretenir avec les hommes, manger avec eux et devenir ensuite leur juge, lui qui avait reçu du Père, qui est le [PAGE 53] maître de tous, le pouvoir de châtier les habitants de Sodome.
Le Fils et Jacob
45. Jacob aussi, parti en Mésopotamie, le vit en songe, se tenant debout, sur une échelle – image de la croix – qui allait de la terre jusqu'au ciel. C'est par la croix que ceux qui croient en lui montent au ciel. En effet, la passion de notre Seigneur est notre ascension en haut. Or, toutes ces différentes visions représentent le Fils de Dieu s'entretenant avec les hommes et vivant au milieu d'eux. Ce n'est pas le Père de tous.
Le Père et créateur de l'univers que le monde ne voit pas, qui disait: «Le ciel est mon trône et la terre est l'escabeau de mes pieds. Quelle maison me construirez-vous et quel sera le lieu de mon repos?» (Is 56, 1) ni «celui qui tient la terre dans sa main et mesure le ciel à l'empan» (Is 40, 12); non, ce n'est pas lui qui est venu en ce coin de terre parler avec Abraham, c'est le Verbe de Dieu, qui ne quittait pas le genre humain, présidant ce qui devait arriver et enseignant aux hommes les choses de Dieu.
Le Fils et Moïse dans le désert
46. Lui encore parla à Moïse dans le buisson ardent et lui dit: «J'ai bien vu la détresse de mon peuple en Égypte et je suis descendu pour le délivrer» (Ex 3, 7-8). C'est lui qui montait et descendait pour le salut des affligés, afin de nous délivrer de la domination des Égyptiens, c'est-à-dire de toute idolâtrie et impiété, afin de nous sauver de la mer Rouge, c'est-à-dire de nous préserver des discordes sanglantes des païens et du scandale amer de leurs blasphèmes.
Tout ceci était une anticipation de ce que nous avons vécu nous-mêmes; car le Verbe de Dieu montrait alors d'avance en figure ce qui devait arriver; et voici maintenant qu'il nous a délivrés véritablement du cruel esclavage [PAGE 54] des Gentils et a fait jaillir abondamment dans le désert un fleuve d'eau du rocher, et le rocher c'est lui. Et il a fait couler douze sources, à savoir l'enseignement des douze apôtres. Et ceux qui ne veulent pas croire en lui s'épuiseront et périront dans le désert. Quant à ceux qui ont cru en lui, enfants sans malice, ceux-là il les a admis à l'héritage des pères; mais ce n'est pas Moïse qui entre en participation de cet héritage et qui en fait le partage, c'est Jésus qui nous délivre d'Amalec par l'extension de ses bras, il nous mène et nous élève au royaume de son Père.
Trinité et création
47. Or, le Père est Seigneur, et le Fils est Seigneur. Le Père est Dieu, et le Fils est Dieu; car celui qui est né de Dieu est Dieu. Ainsi donc, par l'essence même et la nature de son être, on démontre qu'il n'y a qu'un seul Dieu, mais, en même temps, le dessein de notre salut montre qu'il existe un Fils et un Père. Puisque le Père de tous est invisible et inaccessible aux êtres créés, ceux qui doivent s'approcher de Dieu reçoivent nécessairement par le Fils accès auprès du Père. Plus manifestement encore et plus clairement, David dit à propos du Père et du Fils: «Ton trône, ô Dieu, est établi pour les siècles des siècles. Tu as aimé la justice et haï l'iniquité. C'est pourquoi Dieu t'a oint d'une huile d'allégresse, de préférence à tes compagnons» (Ps 44, 7-8). Puisqu'il est Dieu, en effet, le Fils doit recevoir du Père, c'est-à-dire de Dieu, le trône du royaume éternel et être sacré de l'huile d'onction, bien plus que ses compagnons. L'huile de l'onction, c'est l'Esprit; et ses compagnons, ce sont les prophètes, les justes, les apôtres et tous ceux qui reçoivent la participation à son royaume, c'est-à-dire ses disciples.
«Le Seigneur dit à mon Seigneur»
48. Et David dit encore: «Le Seigneur dit à mon Seigneur:
[PAGE 55] Assieds-toi à ma droite,
jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis
l'escabeau de tes pieds.
Le Seigneur fera sortir
de Sion le sceptre de la force;
et sois le maître au milieu de tes ennemis.
Je suis avec toi au commencement,
au jour de ta force dans la splendeur des saints;
avant l'étoile du matin, je t'ai engendré de mon sein.
Le Seigneur l'a juré et il ne s'en repentira pas:
Tu es prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech.
Le Seigneur qui a brisé les rois au jour de sa colère,
il exercera son jugement parmi les nations;
il amoncellera les cadavres
et il écrasera la tête de plusieurs sur la terre.
Il boira au torrent sur le chemin;
c'est pourquoi il relèvera la tête» (Ps 109).
Et par ces paroles il a prouvé que le Christ existe avant toutes choses, qu'il est le maître des Gentils et qu'il exerce son jugement sur tous les hommes et sur les rois, qui le haïssent maintenant et persécutent son nom; car tels sont ses ennemis. Et en le nommant prêtre éternel de Dieu, il déclare qu'il est immortel. Et quand il dit: «Il a bu au torrent dans le chemin; c'est pourquoi il relèvera la tête», il parle de son élévation glorieuse, après son incarnation, son abaissement et ses humiliations.
Dieu parle par les prophètes
49. A son tour, le prophète Isaïe a dit: «Ainsi parle Dieu le Seigneur à mon Oint le Seigneur, que j'ai pris par la main droite pour réduire à l'obéissance devant lui les nations» (Is 45, 1). Comment le Christ est-il appelé le Fils de Dieu et le roi des Gentils, c'est-à-dire de tous les hommes? David dit que l'Oint [NOTE 25], le Christ est appelé et est réellement Fils de Dieu et roi de tous. Voici ses paroles:
[PAGE 56]
«Le Seigneur m'a dit: Tu es mon Fils
Et moi aujourd'hui je t'ai engendré.
Fais-moi la demande et je te donnerai
les nations en héritage et pour domaine
les confins de la terre» (Ps 2, 7-8).
Ces paroles ne s'adressent pas à David, puisqu'il n'a gouverné ni les Gentils ni l'univers et n'a régné que sur les Juifs. Il est donc évident que la promesse faite au Christ de régner sur tout l'univers se rapporte au Fils de Dieu. David lui-même le reconnaît pour son Seigneur, quand il s'exprime ainsi: «Le Seigneur dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite» et le reste que nous avons cité plus haut. Car il dit que le Père parle avec le Fils. C'est ce que, du reste, nous avons vu précédemment dans Isaïe, dont voici les paroles: «Dieu dit à mon Oint le Seigneur... pour réduire à l'obéissance par lui les nations.» En effet, c'est la même promesse qui est faite par les deux prophètes: il sera roi.
Par conséquent, les paroles de Dieu s'adressent à une seule et même personne, je veux dire au Christ, Fils de Dieu. David s'exprime ainsi: «Le Seigneur m'a dit.» Il faut convenir que ce n'est ni David, ni aucun des autres prophètes qui parle de son propre chef; car ce n'est pas l'homme qui prophétise, c'est l'Esprit de Dieu qui, par l'intermédiaire des prophètes, revêt la figure et la forme du personnage en question, et parle tantôt au nom du Christ et tantôt au nom du Père.
Le Christ préexistant
50. Ce que le Père lui a dit, le Christ le dit, et avec autant d'à-propos il exprime par les prophètes les autres choses qui se rapportent à lui. Pour n'en citer qu'une seule voici ce qu'on lit dans Isaïe:
«Et maintenant le Seigneur dit:
lui qui m'a formé dès le sein de ma mère
pour être son serviteur,
afin de lui ramener Jacob
et lui rassembler Israël.
[PAGE 57] Je suis honoré aux yeux du Seigneur
et mon Dieu est ma force.
Et il a dit: Il sera grand pour toi
d'être appelé mon serviteur,
pour relever les tribus de Jacob
et ramener Israël dispersé.
Je t'établirai lumière des nations
pour que mon salut arrive
jusqu'aux extrémités de la terre» (Is 49, 5-6).
51. Ce texte marque tout d'abord la préexistence du Fils de Dieu. Elle résulte du fait que le Père s'entretient avec lui et qu'avant sa naissance, il l'a manifesté aux hommes. Ensuite, le prophète affirme qu'il sera véritablement un homme, qui tirera son origine des hommes, et que Dieu même doit le créer dans le sein d'une Vierge, c'est-à-dire qu'il naîtra de l'Esprit de Dieu. Il dit enfin qu'il est le Seigneur de tous les hommes et le sauveur de ceux qui croient en lui, Juifs et autres. En effet, le peuple juif en hébreu est appelé Israël, du nom de son père Jacob, qui le premier fut appelé Israël; tous les autres hommes sont des païens. Le Fils se dit lui-même serviteur du Père, à cause de son obéissance à son Père; car tout enfant est serviteur de son père, même chez les hommes.
Le message de l'Écriture
52. Voici ce qu'attestent les Écritures [NOTE 26]: le Christ est le Fils de Dieu qui existe avant toute la création. Sans cesser d'être avec le Père et auprès de lui, le Christ s'est de plus en plus rapproché et joint aux hommes, il est le roi de l'univers, puisque le Père a mis tout ce qui existe sous sa domination, et il est le sauveur de ceux qui croient en lui. Il est impossible de citer tous les textes que l'on pourrait apporter à l'appui de cette thèse; mais les textes [PAGE 58] cités éclairent les autres qui leur sont semblables, si tu crois au Christ et si tu demandes à Dieu la sagesse et l'intelligence pour comprendre tout ce qui a été dit par les prophètes.
Une vierge enfantera
53. Ce même Christ qui, Verbe de Dieu, était auprès du Père, devait s'incarner, se faire homme et subir la condition de l'humaine naissance [NOTE 27]; il devait naître d'une Vierge et vivre au milieu des hommes, son incarnation étant l'œuvre du Père de tous; c'est ce qu'Isaïe annonce en ces termes: «C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe: Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils et vous l'appellerez Emmanuel. Il mangera du beurre et du miel; avant de connaître ou de distinguer le mal, il choisit le bien; car avant que l'enfant connaisse le bien ou le mal, il désapprouve le mal pour choisir le bien» (Is 7, 14-16). Qu'il doive naître d'une Vierge, il l'affirme; qu'il doive être véritablement homme, il l'insinue en disant qu'il mangera et par le fait qu'il l'appelle: l'enfant, plutôt que par le fait qu'il lui donne un nom car celui-ci «Dieu avec nous» ou Emmanuel peut induire en erreur.
Le nouveau-né a un double nom: en hébreu Messie signifie Christ, c'est-à-dire l'Oint; Jésus veut dire Sauveur; et ces deux noms serviront à exprimer les œuvres qu'il doit accomplir. En effet, il est appelé Christ, parce que par son moyen le Père a oint et ordonné toutes choses, et qu'à son avènement comme homme, il a été oint par l'Esprit de Dieu, son Père. C'est d'ailleurs ce qu'il dit lui-même à son propre sujet par la bouche d'Isaïe: «L'Esprit du Seigneur est sur moi, c'est pourquoi il m'a oint pour prêcher aux pauvres» (Is 61, 1). Et il est Sauveur, parce qu'il est la cause du salut de ceux que, de son temps, il a lui-même délivrés de toutes sortes de maux et de la mort, [PAGE 59] et parce qu'il est le donateur des biens à venir et du salut éternel pour ceux qui, venant après lui, croiront en lui. C'est donc pour cela qu'il est le Sauveur.
Emmanuel
54. Quant au mot Emmanuel, il se traduit: Dieu avec nous; ou bien si le mot a été dit par le prophète, sous forme de souhait: Que Dieu soit avec vous! En ce cas il explique et manifeste le message de l'évangile. «Voilà, dit Isaïe, que la Vierge concevra et enfantera un fils», lequel, étant Dieu, «sera avec nous». Et, comme saisi d'admiration devant cet événement, il ajoute ce qui en résulte, à savoir que «Dieu sera avec nous». Et encore à propos de sa naissance, le même prophète dit dans un autre endroit: «Avant d'être en travail et avant de subir les douleurs de l'enfantement, elle a été délivrée et elle a mis au monde un mâle» (Is 66, 7). C'est ainsi qu'il révèle sa naissance miraculeuse et inconcevable par le moyen de la Vierge. Le même prophète dit encore: «Un fils nous est né et un enfant nous a été donné, et on l'a nommé le Conseiller admirable, le Dieu fort» (Is 9, 5).
Conseiller admirable [NOTE 28]
55. Il l'appelle «admirable conseiller» d'abord du Père. C'est par son conseil que le Père fait tout en commun avec lui, comme il est dit dans le premier livre de Moïse, qui a pour titre la Genèse: «Et Dieu dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance» (Gn 1, 27). On voit ici en effet le Père s'adresser au Fils en tant que son «conseiller admirable». Mais il est aussi notre conseiller, demeurant avec nous, nous donnant des avis, sans nous faire violence comme Dieu, lui qui cependant est «le Dieu fort». Et il nous exhorte à chasser l'ignorance et à recevoir la connaissance, à nous écarter de l'erreur et à venir [PAGE 60] à la vérité, à repousser la corruption et à acquérir l'incorruptibilité.
Naissance et jugement
56. Isaïe dit encore: «Et ils ont voulu être consumés par le feu. Car un enfant nous est né et un fils nous a été donné; le pouvoir a été posé sur ses épaules et il est appelé l'Ange du grand conseil. Car j'établirai la paix avec les chefs, et de nouveau paix et salut sur lui! Grande est son autorité, et sa paix est sans fin. Le Dieu des armées lui donnera accès au trône de David, et l'affermira dans la royauté; il l'affermira par le droit et la justice, dès maintenant et toujours» (Is 9, 6-7). Ceci annonce que le Fils de Dieu est soumis à la naissance et qu'il est roi éternel.
Quant à ces paroles: «Ils ont voulu être consumés par le feu», elles s'adressent à ceux qui ne croient pas en lui et qui ont fait contre lui tout ce qu'ils ont fait. Le prophète le dit, parce qu'ils déclareront au jugement: Que n'avons-nous été brûlés par le feu avant la naissance du Fils de Dieu, plutôt que de ne pas croire à sa naissance! Car pour ceux qui sont morts avant la manifestation du Christ, il y a espoir qu'à leur résurrection au jugement ils arriveront au salut, ceux-là du moins qui ont craint Dieu et sont morts dans la justice et ont reçu intérieurement l'Esprit de Dieu, comme les patriarches, les prophètes et les justes. Quant à ceux qui, après la manifestation du Christ, n'ont pas cru en lui, leur châtiment au jour du jugement sera inexorable. Quant à ces mots: «Celui dont la puissance est sur ses épaules», c'est une figure pour indiquer la croix [NOTE 29], sur laquelle il a eu les bras cloués. En effet cette croix qui était et reste un opprobre pour lui et aussi pour nous à cause de lui, elle marque, dit-il, sa puissance, c'est-à-dire qu'elle est le signe de son royaume. Et le prophète dit: [PAGE 61] «l'Ange du grand conseil», c'est-à-dire du Père, qu'il nous a fait connaître.
Le sang de la grappe
57. D'après cela, les prophètes ont donc prédit clairement que le Fils de Dieu devait naître et comment il devait naître et se montrer le Christ. Ils ont annoncé aussi d'avance dans quel pays et de quelle famille il devait naître. Voici des paroles que Moïse met sur les lèvres de ces prophètes, dans la Genèse: «Le sceptre ne s'éloignera pas de Juda, ni un chef de sa race, jusqu'à ce que vienne celui pour qui il est réservé. Il sera l'espoir des nations, quand il lavera son vêtement dans le vin et son manteau dans le sang de la grappe» (Gn 49, 10-11). Juda, l'ancêtre des Juifs, était fils de Jacob, et c'est de lui qu'ils tirent leur nom; et ils n'ont pas manqué de chef, ni de guide jusqu'à l'avènement du Christ.
Mais à partir de son avènement, leurs carquois perdent leur force, et le pays des Juifs fut soumis à la domination des Romains; et ils n'eurent plus en tant que nation ni chef, ni roi particulier. Il était venu celui à qui appartient le royaume des cieux, celui qui «a lavé sa robe dans le vin et son manteau dans le sang de la grappe». Et sa robe, comme aussi son manteau, ce sont ceux qui croient en lui, ceux qu'il a purifiés, quand il nous a sauvés par son sang. Et son sang est appelé le sang de la grappe; car de même que le sang de la grappe n'est pas fait par l'homme, mais par Dieu qui le fabrique afin de réjouir ceux qui le boivent, ainsi l'incarnation et le sang du Christ ne sont pas le fait d'un homme mais de Dieu. Le Seigneur lui-même a donné le signe de la Vierge, c'est-à-dire celui qui est né de la Vierge, l'Emmanuel qui réjouit ceux qui le boivent, à savoir ceux qui reçoivent son Esprit, joie éternelle. C'est pourquoi il est l'attente des Gentils, de ceux qui espèrent en lui; car nous espérons que c'est lui qui rétablira le royaume.
[PAGE 62] L'étoile de Jacob
58. Moïse dit encore: «Un astre sortira de Jacob et un chef surgira d'Israël» (Nb 6 24, 17). Ce qui prouve à l'évidence que l'économie de cet événement selon la chair se déroule chez les Juifs mais aussi que celui qui doit naître descendra du ciel pour servir ce dessein. En effet, un astre se manifeste dans le ciel. Et si le prophète parle de chef, de roi, c'est que le Christ est le roi de tous ceux qui sont sauvés. Or à sa naissance, l'étoile apparut aux mages qui habitaient l'Orient. Par cette apparition, ils apprirent que le Christ était né et ils vinrent en Judée, guidés par cette étoile; ils la suivirent jusqu'à ce qu'elle arrivât à Bethléem, où le Christ était né, et elle pénétra dans la maison [NOTE 30] où se trouvait l'enfant enveloppé de langes. L'étoile vint se reposer sur sa tête, pour montrer aux Mages le Fils de Dieu, le Christ.
Fleur de Jessé
59. Isaïe s'exprime encore plus explicitement:
«Un rameau sortira du tronc de Jessé
et une fleur s'épanouira de sa racine.
Et l'Esprit de Dieu reposera sur lui,
Esprit de sagesse et d'intelligence,
Esprit de conseil et de force,
Esprit de connaissance et de piété;
l'Esprit de crainte de Dieu le remplira.
Il ne jugera point selon les apparences,
et il ne réprimandera point d'après les opinions;
mais il rendra justice au petit
et il aura pitié des humbles de la terre.
Et il frappera la terre d'une parole de sa bouche,
et d'un souffle de ses lèvres il fera périr l'homme blasphémateur.
La justice ceindra ses flancs
et la vérité sera la ceinture de ses reins.
[PAGE 63] Et le loup sera nourri avec l'agneau,
et le léopard avec le chevreau,
et le veau et le lion mangeront du fourrage ensemble.
Et un petit enfant (ira) sur le trou de la vipère
et mettra sa main sur le repaire des petits de la vipère,
et ils ne lui feront aucun mal.
Et en ce jour-là la racine de Jessé apparaîtra
et celui qui en sortira pour gouverner les nations
sera Celui en qui les nations espéreront
et sa résurrection sera glorieuse» (Is 11, 1-10).
Par ces paroles, Isaïe annonce que le Christ naîtra de celle qui est de la race de David et d'Abraham. Car Jessé était descendant d'Abraham et père de David; la Vierge qui conçut le Christ était de cette race, elle fut donc le rameau. Et c'est pour cela que Moïse se servait d'un bâton pour montrer sa puissance à Pharaon. Il est aussi d'autres peuples pour qui le bâton est le signe du pouvoir. Par la fleur, Isaïe entend la chair du Christ, qui a poussé par la vertu de l'Esprit saint, comme nous l'avons dit précédemment.
Le jugement juste
60. Quant à ces mots: «Il ne jugera point selon les apparences et il ne réprimandera point selon les opinions; mais il rendra justice au petit et il aura pitié des humbles de la terre», ils prouvent de façon encore plus nette sa divinité. Car il n'appartient qu'à Dieu de juger sans faire acception de personne, sans se laisser corrompre, sans faiblesse pour les grands, en rendant justice aux humbles en toute égalité et équité d'après les règles de sa suprême et souveraine justice; car Dieu ne subit l'influence de personne et n'a pitié que du juste. «Exercer la miséricorde», c'est aussi le propre de Dieu, de celui qui, par sa miséricorde, peut procurer le salut. Et «il frappe la terre d'une simple parole, et il fait périr l'impie d'une seule parole», cela encore n'appartient qu'à Dieu, qui d'une parole a fait toutes choses. Par ces mots: «La justice ceindra ses flancs, et la vérité sera la ceinture de ses reins», le pro-[PAGE 64]phète indique la forme humaine du Christ d'après l'aspect extérieur comme aussi sa vraie souveraine justice.
Le loup et l'agneau
61. Quant à la concorde, l'union et la paix qui doivent régner entre animaux de diverses espèces, naturellement opposés et ennemis entre eux, les presbytres croient que cela se réalisera vraiment à l'avènement du Christ, quand il aura établi son règne sur tout et partout [NOTE 31]. Le prophète recourt à une image pour indiquer que des gens de nations différentes mais de mœurs semblables, à cause du nom du Christ, se rassembleront dans une paix parfaite.
L'assemblée des justes est comparée à un troupeau de faons, d'agneaux, de chevreaux et de petits enfants, auxquels personne ne fait de mal, ni les hommes qui précédemment étaient par leur rapacité semblables à des bêtes féroces, avec mœurs sauvages, au point de ressembler à des loups ou à des lions qui dévorent les faibles et se font eux une guerre implacable.
Il en sera de même des femmes naguère plus dangereuses que les aspics et les vipères, capables de verser des poisons mortels à ceux qu'elles aimaient et de les immoler à leur jalousie. Et ces hommes et ces femmes réunis en un seul nom revêtiront des mœurs pacifiques et, par la grâce de Dieu, se dépouilleront de leur naturel barbare et sauvage. Voilà bien ce qui est arrivé; car ceux qui auparavant étaient si dénaturés qu'ils commettaient toutes sortes d'iniquités, une fois qu'ils ont connu le Christ et cru en lui, ce faisant, ils ont été changés au point de pratiquer tout ce qu'il y a de plus excellent dans la justice; tant est grand le changement qu'opéré la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu, dans ceux qui croient en lui! Et le prophète ajoute qu'une fois ressuscité, le Christ exercera son pouvoir sur les Gentils. C'est qu'en effet, il devait mourir et ressusciter, afin que l'on confessât et que l'on crût qu'il [PAGE 65] est Fils de Dieu et Roi. Après quoi le prophète déclare: «Et sa résurrection sera un honneur», c'est-à-dire une gloire. En effet, c'est depuis qu'il est ressuscité, qu'il a été glorifié comme Dieu.
[PAGE 66 au milieu] La tente de David redressée
62. C'est pourquoi le prophète dit encore: «En ce jour je relèverai la tente de David qui est tombée» (Am 9, 11), c'est-à-dire le corps du Christ, celui qui tire son origine de David, comme nous l'avons dit plus haut; c'est évidemment déclarer qu'après sa mort, le Christ ressuscitera d'entre les morts; son corps est appelé tente. Tous ces témoignages de l'Ecriture établissent donc que le Christ qui, selon la chair, doit être de la race de David, sera le Fils de Dieu, qu'après être mort, il ressuscitera, qu'il aura l'aspect d'un homme, mais aussi la puissance de Dieu. Il jugera lui-même tout l'univers, seul il accomplira la justice et sera sauveur [NOTE 32].
[PAGE 67] Bethléem
63. A son tour, le prophète Michée indique où le Christ naîtra, c'est-à-dire à Bethléem de Juda. Voici ses paroles: «Et toi, Bethléem de Juda, tu n'es pas la plus petite parmi les principautés de Juda; car de toi sortira un chef qui régira mon peuple Israël» (Mi 5, 1). Bethléem, c'est la cité de David. Aussi bien est-il démontré que le Christ est fils de David non seulement par la Vierge qui l'a mis au monde, mais encore par ce fait qu'il est né à Bethléem, la cité de David.
Le fils de David
64. David annonce encore que le Christ naîtra de sa race, lorsqu'il parle en ces termes: « A cause de David, ton serviteur, ne repousse pas la face de ton Christ. Le Seigneur a juré à David par serment, et il ne le trompera pas: Je mettrai sur ton trône un fruit de ton sein, si tes fils gardent mon alliance et les préceptes que je leur enseignerai; leurs fils aussi, à tout jamais» (Ps 131, 10).
Mais parmi les fils de David, aucun n'a eu un règne éternel et d'aucun le royaume n'a duré éternellement, puisque tous ont été détruits. C'est le Christ seul qui est ce roi issu de la famille de David. Tous ces témoignages attestent expressément et clairement le peuple et le lieu où devait naître le fils de David selon la chair; il n'y a donc pas à chercher chez les Gentils ni ailleurs le berceau du Fils de Dieu, si ce n'est à Bethléem de Judée, dans la descendance d'Abraham et de David.
[PAGE 65 de nouveau] L'entrée à Jérusalem
65. Quant à son entrée à Jérusalem, qui était la capitale de la Judée et la résidence de ses chefs, où se trouvait le temple de Dieu, voici ce qu'en a dit le prophète Isaïe: «Dites à la fille de Sion: Voici que le Roi vient à toi» (Is 62, 11); «Il est doux et est monté sur un âne, sur un poulain, le petit d'une ânesse» (Za 9, 9). C'est ainsi qu'il fit son entrée à Jérusalem, ayant pour monture le petit d'une ânesse, sur lequel le peuple avait étendu ses vêtements et où on l'avait fait asseoir. Et c'est Jérusalem que le prophète appelle la fille de Sion.
Le Christ et les prophètes
66. Les prophètes ont donc annoncé que le Fils de Dieu devait naître parmi nous, de quelle manière et en quel lieu il devait naître, qu'il serait le Christ, le seul roi éternel. Ils ont prédit également que le Fils de Dieu s'étant fait homme guérirait ceux qu'il a guéris, qu'il ressusciterait les morts qu'il a ressuscites, qu'il serait haï, méprisé, voué aux tourments, mis à mort et crucifié. Il a été haï, méprisé et mis à mort.
Les miracles du Christ
67. Parlons maintenant de ses guérisons. Isaïe s'exprime ainsi: «C'était nos souffrances qu'il portait et nos douleurs dont il s'est chargé» (Is 53, 4), c'est-à-dire qu'il prendra et enlèvera. Car parfois l'Esprit de Dieu, par la bouche des prophètes, raconte ce qui doit arriver comme si c'était déjà fait. Pour Dieu, en effet, projeter, se mettre dans l'idée et décréter, c'est comme un fait déjà accompli et l'Esprit saint parle, en ayant en vue le temps où les [PAGE 66] prophéties s'accomplissent. En ce qui concerne les guérisons, il en parle en ces termes: «En ce jour-là, les sourds entendront les paroles du livre et, délivrés des ténèbres et de l'obscurité, les yeux des aveugles verront» (Is 29, 18).
Le même prophète dit encore:
«Fortifiez les mains qui mollissent
et les genoux qui chancellent;
consolez-vous, cœurs troublés.
Courage, ne craignez pas.
Notre Dieu lui-même viendra et nous sauvera.
Alors s'ouvriront les yeux des aveugles,
et s'ouvriront les oreilles des sourds.
Alors le boiteux bondira comme un cerf
et la langue du muet se déliera» (Is 35, 3-6).
Des morts, il dit qu'ils ressusciteront: «Ainsi les morts ressusciteront, et ceux qui sont dans les tombeaux» (Is 26, 19). Et il faudra bien croire que celui qui fait cela est le Fils de Dieu.
[PAGE 67 de nouveau] La passion et le salut
68. Isaïe annonce également qu'il sera bafoué, tourmenté et à la fin mis à mort: «Voilà que mon fils grandira, il sera exalté et souverainement glorifié. De même que beaucoup auront été dans la stupeur à ton égard, tellement ton visage était méprisable aux yeux des hommes; et des nations nombreuses seront étonnées et les rois fermeront la bouche; car ceux auxquels il n'a rien été [PAGE 68] raconté de lui verront; et ceux qui n'avaient pas entendu apprendront. Seigneur, qui a cru à ce que nous avons entendu et à qui le bras de Dieu a-t-il été révélé? Nous avons parlé devant lui comme un enfant (c'était) comme un rejeton dans une terre aride; et il n'avait ni apparence, ni gloire; et nous l'avons vu, et il n'avait ni forme, ni beauté. Mais son extérieur était sans éclat et inférieur à tous les autres hommes; homme de douleurs et connaissant la souffrance, car son visage est un objet de mépris; il a été méprisé et on n'a fait aucun cas de lui. C'est lui qui porte nos iniquités, c'est pour nous qu'il est en butte aux douleurs. Et nous l'avons regardé comme quelqu'un qui doit être livré aux douleurs, aux coups et aux tourments. Mais lui il a été blessé pour nos iniquités et il a souffert pour nos péchés. Le châtiment qui nous vaut la paix est sur lui et c'est par ses plaies que nous avons été guéris» (Is 52, 13-53, 5).
On voit par là que le Christ a subi des tourments, et c'est ce qu'avait déjà prédit David en disant: «Et j'ai subi des tourments» (Is 52, 13-53, 5). Mais ce n'est pas David, c'est le Christ qui a subi des tourments quand l'ordre fut donné de le crucifier. Et de nouveau par la bouche d'Isaïe, le Verbe dit: «J'ai livré mon dos aux coups et mes joues aux soufflets et je n'ai pas soustrait mon visage à l'outrage des crachats» (Is 50, 6). Le prophète Jérémie dit la même chose: «Il livrera ses joues à celui qui le frappe; il sera rempli d'opprobres» (Lm 3, 30). Tout cela le Christ l'a enduré.
69. Voici ce qui suit dans Isaïe: «Nous avons été guéris par ses plaies. Tous nous avons erré comme des brebis égarées; l'homme s'est égaré dans sa voie. Et le Seigneur l'a livré pour nos péchés» (Is 53, 5-6). Donc il est évident que cela lui est arrivé par la volonté de son Père pour notre salut. Après cela le prophète parle encore de sa passion: «Il n'ouvre pas la bouche; il a été conduit à la boucherie comme un agneau; comme une brebis devant celui qui la tond, il est muet» (Is 53, 7). Ainsi déclare-t-il qu'il est allé volontairement à la mort. Quant à ces paroles du prophète:«C'est dans l'humiliation que [PAGE 69] sa sentence de condamnation a été portée» (Is 52, 8), elles signifient la manifestation de ses opprobres; c'est en raison de ses abaissements qu'a eu lieu la réception de la sentence.
Et la sentence a été reçue par les uns pour le salut, et par les autres pour les supplices de leur réprobation. Car on peut être reçu d'une façon par les uns, et d'une autre par les autres. Il en est de même pour la sentence: elle a été reçue par les uns, qui la subissent et y trouvent les supplices de leur réprobation; mais d'autres l'ont reçue, qui y ont trouvé leur salut. Or, ceux qui ont crucifié le Christ ont reçu la sentence en la ratifiant en eux-mêmes, et en agissant ainsi à l'égard du Christ, ils n'ont pas cru en lui; car c'est à cause de la manière dont ils ont reçu la sentence qu'ils périront dans les supplices. La sentence a été aussi reçue par ceux qui ont cru en lui, ils ne sont plus sous son emprise. La sentence qui s'exécutera par le feu causera la réprobation des incrédules à la consommation de ce monde.
Qui racontera sa naissance?
70. Si le prophète s'écrie ensuite: «Qui racontera sa naissance?» (Is 53, 8) C'est de peur que, témoins de la haine de ses ennemis et des souffrances de sa passion, nous n'arrivions à le mépriser comme un homme vil et abject; c'est pour opérer notre conversion. Celui qui a supporté tout cela possède une génération inénarrable, parce que le prophète appelle génération son origine, c'est-à-dire son Père, qui est inénarrable et indicible. Reconnais donc que telle est précisément l'origine de celui qui a enduré ces souffrances. Ne le méprise donc pas à cause des tourments qu'il a endurés à dessein pour toi; mais crains-le à cause de son origine.
Nous vivons à son ombre
71. Et ailleurs Jérémie dit: «L'Esprit de notre visage, le Christ Seigneur, comment donc a-t-il été pris dans leurs [PAGE 70] filets, lui dont nous disions: Nous vivrons sous son ombre parmi les nations?» (Lm 4, 20) Que le Christ, tout en étant Esprit de Dieu, devait être homme de douleurs, l'Écriture l'indique et est comme saisie d'étonnement et d'admiration au sujet de sa passion, tant il devait subir de tourments celui à l'ombre duquel nous avons dit que nous vivrons. Par ombre on doit comprendre son corps. Car comme l'ombre vient du corps, le corps du Christ est venu de son Esprit. L'ombre, chez les prophètes peut aussi signifier l'humiliation et la capacité de souffrir. Car, comme pour les corps qui se tiennent debout, l'ombre est couchée à terre et foulée aux pieds, ainsi le corps du Christ tombé à terre durant sa passion a été pour ainsi dire foulé sous les pieds. Et lorsque il appelle ombre le corps du Christ, il l'entrevoit déjà comme ombragé et couvert de la gloire de l'Esprit. Ce n'est pas tout: plus d'une fois sur le chemin par où passait le Seigneur, on plaçait des infirmes accablés de toutes sortes de maladies; et ceux sur lesquels se projetait son ombre étaient guéris [NOTE 33].
La mort du Juste
72. Le même prophète s'écrie encore au sujet de la passion du Christ: «Le juste a disparu, et personne ne le prend à cœur; et les hommes pieux sont enlevés, et personne n'y prend garde. En effet, le juste a été retiré de devant l'injustice. Son tombeau sera dans la paix; il a été enlevé du milieu de nous» (Is 57, 1-2). Et quel autre est parfaitement juste, si ce n'est le Fils de Dieu qui conduit à la justice parfaite ceux qui croient en lui, qui comme lui sont persécutés et mis à mort? Par ces mots: «Sa sépulture sera dans la paix», il déclare qu'il est mort pour notre salut. «Dans la paix», cela signifie dans le salut.
[PAGE 71] En effet, grâce au bienfait de sa mort, ceux qui, auparavant, étaient ennemis et opposés entre eux, dès qu'ils se sentent unis dans la même foi en lui, demeurent en paix les uns avec les autres, la foi commune qu'ils ont en lui les rend intimes amis, voilà ce qui a lieu. Quant aux mots: «Il a été enlevé du milieu», ils signifient sa résurrection d'entre les morts. Car après sa sépulture, on ne l'a plus revu mort. Après sa mort, il devait ressusciter et devenir à jamais immortel; c'est ce que le prophète exprime en ces termes: «Il a demandé la vie et tu lui as donné aussi la longueur des jours pour les siècles des siècles» (Ps 21, 5). Que signifie donc ceci: «Il a demandé la vie», puisqu'il devait mourir? C'est l'annonce qu'il ressuscitera d'entre les morts, et qu'une fois ressuscité, il sera immortel; car il a reçu dans sa résurrection la vie, c'est-à-dire la longueur des jours pour les siècles des siècles, puisqu'il est désormais incorruptible.
Mort et résurrection
73. David poursuit, en parlant de la mort et de la résurrection du Christ: «Moi, je me suis couché et endormi; je me suis réveillé, parce que le Seigneur m'a saisi» (Ps 3, 6). David ne disait pas cela pour lui-même, puisqu'une fois mort, il n'est pas ressuscité; mais c'est l'Esprit du Christ qui, comme par la bouche d'autres prophètes, parle du Christ lui-même par celle de David. «Moi, je me suis couché et endormi; je me suis réveillé parce que le Seigneur m'a saisi.» Il appelle la mort un sommeil, parce qu'il est ressuscité.
Hérode et Pilate
74. David s'exprime encore ainsi au sujet de la passion du Christ: «Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils médité des choses vaines? Les rois de la terre se sont levés contre lui, et les princes se sont rassemblés contre le Seigneur et contre son Christ» (Ps 2, 1-2). [PAGE 72] Car Hérode, roi des Juifs, et Ponce-Pilate, procurateur de l'empereur Claude [NOTE 34], se sont mis d'accord pour le condamner à être crucifié. Hérode supposait que le Christ devait être un roi terrestre et il craignit d'être par lui dépossédé de son royaume. A l'instigation d'Hérode et des Juifs qui l'entouraient, Pilate fut poussé malgré lui à livrer le Christ à la mort; car s'il ne l'avait pas fait, il aurait agi contre l'empereur, en sauvant un homme qui se disait roi.
La passion et le Père
75. Et le même prophète dit encore, à propos de la passion du Christ: «Toi, tu nous as rejetés, tu nous as dédaignés et tu as repoussé ton Christ. Tu as rompu l'alliance de mon serviteur, tu as souillé à terre sa sainteté. Tu as renversé toutes ses murailles et tu as ébranlé toutes ses forteresses. Ceux qui passaient par le chemin l'ont dépouillé; il est devenu l'opprobre de ses voisins. Tu as élevé la droite de ses oppresseurs; tu as fait la joie de ses ennemis à son sujet. Tu as fait retourner en arrière le secours de son épée et tu ne l'as pas aidé dans le combat. Tu l'as privé de sa splendeur, et tu as jeté par terre son trône. Tu as abrégé les jours de sa vie et tu l'as accablé de honte» (Ps 88, 39-46). Voilà ce que le Christ devait souffrir par la volonté de son Père, le prophète l'a déclaré ouvertement; c'est, en effet, sur la volonté de son Père que le Christ devait endurer sa passion.
L'arrestation de Jésus
76. Voici comment parle à son tour Zacharie: «Glaive, réveille-toi contre mon pasteur et contre l'homme qui est mon compagnon. Frappe le pasteur, et les brebis du bercail seront dispersées» (Za 13, 17): prophétie réalisée, [PAGE 73] quand le Christ fut pris par les Juifs; tous ses disciples l'abandonnèrent dans la crainte de subir la mort avec lui, parce qu'ils n'eurent pas une foi ferme jusqu'au moment où ils le virent ressuscité d'entre les morts.
77. Il est dit encore dans les douze prophètes: «Et l'ayant lié, ils l'offrirent en présent au roi» (Os 10, 6). En effet, Ponce-Pilate était procurateur de la Judée, et il nourrissait à ce moment-là une haine profonde contre Hérode, roi des Juifs. Mais au moment où on lui avait amené le Christ chargé de chaînes, Pilate le renvoya au tribunal d'Hérode avec permission de lui faire subir un interrogatoire afin de s'assurer de la conduite à tenir vis-à-vis du Christ: ce fut l'occasion de la réconciliation du proconsul romain avec le roi Hérode.
Descente aux enfers
78. Dans Jérémie on trouve la prédiction de la mort de Jésus et de sa descente aux enfers: «Et le Seigneur, le Saint d'Israël, s'est souvenu de ses morts, de ceux qui dormaient déjà dans le sein de la terre, et il est descendu vers eux pour leur annoncer son salut et pour les délivrer.» [NOTE 35] La cause de sa mort est indiquée: sa descente aux enfers était le salut des trépassés.
Crucifixion
79. Voilà comment Isaïe parle de sa crucifixion: «J'ai étendu les mains tout le jour à un peuple incrédule et rebelle» (Is 65, 2). Or ce texte est une allusion à la croix. David parle plus clairement encore: «Des chiens de chasse m'ont environné, une troupe de scélérats ont rôdé autour de moi; ils ont percé mes mains et mes pieds» (Ps 21, 17). Il ajoute ensuite: «Mon cœur est comme la cire qui fond dans mes entrailles; ils ont dispersé tous [PAGE 74] mes os» (Ps 21, 15). Puis il dit: «Délivre mon âme de l'épée et mon corps des clous; car une troupe de scélérats s'est levée contre moi» (Ps 21, 48). [NOTE 36] Par là, il indique bien manifestement que le Christ sera crucifié. Moïse avait dit la même chose au peuple: «Ta vie sera comme suspendue devant toi, et tu trembleras le jour et la nuit et tu ne croiras pas à ta vie» (Dt 28, 66).
80. David dit encore: «Ils m'ont examiné; ils se sont partagé mes vêtements, et ma robe, ils l'ont tirée au sort» (Ps 21, 19). En effet, après l'avoir crucifié, les soldats, selon la coutume, se partagèrent ses vêtements. Pour faire ce partage, ils déchirèrent ses habits. Mais sa robe, comme elle se mettait par en haut et était sans couture, ils la tirèrent au sort, afin de la donner à celui auquel elle tomberait.
81. Le prophète Jérémie dit: «Et ils ont pris les trente pièces d'argent, prix de celui dont les enfants d'Israël ont estimé la valeur; et ils les ont données pour le champ du potier, comme le Seigneur me l'a ordonné» (Jr 32, 6). En effet, Judas, l'un des disciples du Christ, s'étant présenté devant les Juifs, s'engagea par serment avec eux; car il savait qu'ils voulaient le tuer et il lui gardait rancune d'avoir été réprimandé par lui; il reçut les trente statères de la province et il leur livra le Christ. Mais s'étant repenti de ce qu'il avait fait, il revint jeter l'argent aux pieds des princes des Juifs et se pendit. Mais eux, ne jugeant pas convenable de mettre cette somme dans le trésor, car, c'était le prix du sang, ils l'employèrent à acheter le champ d'un potier, afin d'y enterrer les étrangers.
82. Et après avoir élevé Jésus en croix, comme il demandait à boire, ils lui donnèrent du vinaigre mêlé de fiel. Et cela aussi a été prédit par David: «Ils m'ont donné pour nourriture du fiel; et dans ma soif, ils m'ont abreuvé de vinaigre» (Ps 68, 22).
[PAGE 75] Résurrection et ascension
83. Ressuscité des morts, le Christ devait monter au ciel, au dire de David [NOTE 37]:
«Le char de Dieu a des milliers d'anges,
des milliers de cochers.
Le Seigneur est parmi eux, au sanctuaire.
Il est monté à Sion, dans les hauteurs;
il a mis fin à la captivité et fait des présents aux hommes» (Ps 68, 18-19).
Le prophète appelle captivité l'abolition de la puissance des anges rebelles. Il a marqué aussi le lieu d'où il devait s'élever de la terre au ciel. Car le Seigneur, dit-il, est monté de Sion, c'est-à-dire la montagne qui est en face de Jérusalem, et qu'on appelle le mont des Oliviers. Après être ressuscité des morts, il rassembla ses disciples, il leur parla du royaume des cieux; puis c'est devant leurs yeux qu'eut lieu son ascension et ils virent les cieux s'ouvrir pour le recevoir.
84. David dit de même: «Princes, ouvrez vos portes; élevez-vous portes éternelles, et le roi de gloire fera son entrée» (Ps 24, 7)[NOTE 38] Puisque le Verbe est descendu sans être visible aux créatures, il n'a pas été reconnu, lors de sa descente. Devenu visible, par son incarnation, il est monté au ciel de façon visible. En l'apercevant, les puissances, les anges inférieurs crièrent à ceux qui étaient au firmament: «Ouvrez vos portes; élevez-vous, portes éternelles, le roi de gloire fait son entrée.» Et comme les anges disaient dans leur étonnement: «Qui est celui-ci?», tous ceux d'en haut qui l'avaient désormais contemplé l'acclamèrent une seconde fois: «C'est le Seigneur fort et puissant; c'est lui le roi de gloire.»
[PAGE 76] L'attente du jugement
85. Une fois ressuscité et assis à la droite de son Père, il y demeure jusqu'au jour marqué par le Père pour le jugement de tous ses ennemis qu'il lui a soumis. Ses ennemis sont tous ceux qui ont été trouvés rebelles, anges et archanges, puissances et trônes, ceux qui n'ont fait aucun cas de la vérité. Le prophète David en parle lui-même en ces termes: «Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes pieds» (Ps 109, 1). Et il est monté au lieu même d'où il est descendu, David le dit encore: «Il est monté d'une extrémité du ciel et il est venu se reposer à l'autre extrémité» (Ps 18, 7). Puis le prophète le montre exerçant sa justice, quand il dit: «Et il n'y a personne qui se dérobe à sa chaleur» (Ps 18, 7).
[PAGE 77]
III. LE CHRIST ET LA NOUVELLE LOI
[PAGE 79] La prédication des apôtres [NOTE 39]
86. Or, si les prophètes ont annoncé d'avance que le Fils de Dieu se manifesterait sur la terre, en quel lieu du monde, de quelle manière et dans quelles conditions il apparaîtrait ici-bas; si le Seigneur a vérifié toutes ces prophéties en sa personne, notre foi en lui repose sur un fondement inébranlable, tout le thème de la prédication est vrai, je veux dire, le témoignage des apôtres. Après avoir reçu leur mission du Seigneur, les apôtres ont prêché dans le monde entier que le Fils de Dieu est venu pour subir la passion, qu'il l'a endurée pour abolir la mort et ressusciter la chair.
Le Seigneur a détruit l'iniquité que le péché a établi entre Dieu et nous et nous a réconciliés avec lui, nous rendant capables d'œuvres qui lui plaisent. C'est ce qu'ont annoncé les prophéties: «Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui portent le message de la paix, le message du bien» (Is 52, 7). Isaïe prédit que les apôtres sortiront de la Judée et de Jérusalem pour annoncer la parole de Dieu: «Car de Sion sortira la loi, de Jérusalem, la parole du Seigneur» (Is 2, 3). David prédit qu'ils prêcheront sur toute la terre: «Sur toute la terre se répand leur voix, et leurs paroles, jusqu'aux extrémités du monde» (Ps 18, 5).
[PAGE 80] La charité, loi suprême
87. Le même Isaïe annonce que les hommes seront sauvés, non par les prescriptions multiples de la loi mais par la foi et la charité unies: «C'est une parole brève qui résume toute justice; Dieu l'exécutera sur toute la terre» (Is 10, 22). Aussi l'apôtre ajoute-t-il: «La plénitude de la loi, c'est la charité» (Rm 13, 10). [NOTE 40] Qui aime Dieu accomplit la loi. Le Seigneur lui-même répond à qui l'interroge sur le premier commandement:«Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toutes tes forces. Le second commandement est semblable au premier: Tu aimeras le prochain comme toi-même» (Mc 12, 30). La foi en lui a fait croître notre amour envers Dieu et envers le prochain et nous a rendus pieux, justes et bons. Et c'est ainsi qu'il a accompli une parole brève, sur la surface de la terre.
Le Christ et l'Église
88. C'est encore d'Isaïe que nous apprenons qu'après son ascension, le Christ devait être exalté au-dessus de tout, et que personne ne pourra jamais lui être comparé, témoin ces paroles: «Quel est celui qui est jugé? Qu'il se lève contre moi. Et quel est celui qui est justifié? Qu'il s'approche du Fils du Seigneur. Malheur à vous! Car tous vous vous userez comme un vêtement et la teigne vous dévorera... Et toute chair sera abaissée et le Seigneur seul sera exalté dans les hauteurs» (Is 50, 8; 2, 17). Qu'à la fin, ceux qui auront servi Dieu seront sauvés par son nom, voilà ce que dit encore Isaïe: «Et à mes serviteurs il sera donné un nom nouveau, qui sera béni sur la terre et ils béniront le Dieu de vérité» (Is 65, 15). Lui-même en personne réalisera cette bénédiction et nous sauvera par son sang, c'est ce qu'Isaïe annonce: «Ce n'est ni un intercesseur, ni un ange, mais le Seigneur lui-même qui les a sauvés, parce qu'il les aime et prend soin d'eux; c'est lui-même qui les a délivrés» (Is 63, 9).
[PAGE 81] La loi de l'Esprit
89. Isaïe nous apprend encore que le Christ ne veut pas ramener les fidèles aux observances de la législation mosaïque, car la Loi a été accomplie par le Christ; c'est par la foi et l'amour envers le Fils de Dieu qu'il faut désormais vivre d'une vie nouvelle avec l'aide du Verbe: «Ne vous souvenez plus de ce qui est passé, dit-il, et ne considérez plus les choses d'autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle; elle est près de s'épanouir et vous la reconnaîtrez. Je mettrai un chemin dans le désert, des fleuves dans la terre aride, pour abreuver ma nation élue, et mon peuple que je me suis acquis pour publier mes vertus» (Is 43, 18-20). Avant la vocation des Gentils, c'était un désert aride; le Verbe n'avait pas encore passé parmi eux; l'Esprit saint ne les avait pas encore abreuvés; c'est lui qui a tracé le nouveau sentier de la piété et de la justice, lui qui a fait jaillir les fleuves pour répandre l'Esprit saint avec abondance sur la terre, suivant la promesse faite par les prophètes qu'il répandrait aux derniers jours l'Esprit saint sur toute la surface de la terre.
La vie dans l'Esprit
90. Or notre vocation consiste à nous renouveler dans l'Esprit, et non à conserver la vétusté de la lettre, selon la prophétie de Jérémie: «Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, où je ferai avec la maison d'Israël et la maison de Juda une alliance que j'ai conclue avec leurs pères, le jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir de la terre d'Égypte; eux ont rompu cette alliance, et je ne me suis pas occupé d'eux, dit le Seigneur. Mais voici l'alliance nouvelle [NOTE 41] que j'ai conclue avec la maison d'Israël après ces jours-là: Je leur donnerai ma loi dans l'esprit et je l'écrirai dans leur cœur, et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple. Et chacun n'enseignera plus son concitoyen; ni un homme son frère, en disant: Connaissez [PAGE 82] le Seigneur! car tous me connaîtront du plus petit au plus grand; car je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés» (Jr 31, 31-34).
La place des païens
91. Les païens eux-mêmes doivent être appelés à hériter de ces promesses; eux aussi doivent entrer dans la nouvelle alliance; c'est Isaïe qui l'enseigne dans les termes suivants: «Voici ce que dit le Dieu d'Israël: En ce jour-là, l'homme espérera en son Créateur, et ses yeux regarderont vers le Saint d'Israël, et ils n'auront plus d'espoir aux autels, ni aux œuvres de leurs mains, que leurs doigts ont façonnées» (Is 17, 6-8). En effet, ces paroles ont été dites par le Saint d'Israël pour ceux qui abandonnent le culte des idoles et croient en Dieu, notre créateur. Le Saint d'Israël, c'est le Christ; il s'est manifesté aux hommes, lui que nous voyons, lui sur qui nous tenons nos yeux attachés. Ce n'est pas aux idoles, ni dans les œuvres de nos mains que nous avons mis notre espérance.
92. Et le Verbe lui-même, en Isaïe, déclare qu'il s'est rendu visible parmi nous, et que le Fils de Dieu, devenu fils de l'homme, il se trouve au milieu de nous, qui auparavant étions dans l'ignorance: «J'ai apparu à ceux qui ne me cherchaient pas, dit-il, j'ai été trouvé par ceux qui ne me demandaient pas. J'ai dit: Me voici! à une nation qui n'invoquait pas mon nom» (Is 65, 1).
93. Et cette nation doit être appelée un peuple saint, comme l'annonce Osée, un des douze prophètes: «J'ai appelé mon peuple, celui qui n'était pas mon peuple et Aimée celle qui n'était pas aimée. Et là même où il a été dit: Vous n'êtes pas mon peuple, ils seront appelés fils du Dieu vivant» (Os 2, 26). Jean Baptiste n'a-t-il pas dit lui-même: «Dieu peut des pierres tirer des fils à Abraham» (Mt 3, 9). Nos cœurs, en effet, ont été arrachés au culte des idoles par la foi de Dieu; nous devenons fils d'Abraham, lui qui a été justifié par la foi. Aussi Dieu dit-il par la bouche du prophète Ezéchiel: «Je leur donnerai un autre cœur, je leur donnerai un esprit nou-[PAGE 83]veau. J'enlèverai de leurs corps le cœur de pierre et je leur donnerai un autre cœur, un cœur de chair, afin qu'ils suivent mes préceptes qu'ils gardent et accomplissent mes lois. Et ils seront mon peuple et je serai leur Dieu» (Ez 11, 19-20).
L'Église et la Synagogue
94. C'est grâce au Verbe de Dieu incarné et habitant au milieu des hommes que se sont opérés la vocation des Gentils et le changement de leur cœur, selon cette parole du disciple Jean: «Et le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous» (Jn 1, 14). C'est pourquoi l'Église enfante de nombreux élus; ce n'est plus seulement un intercesseur, Moïse, ni un envoyé, Élie, mais c'est le Seigneur lui-même qui nous a sauvés et qui donne à son Église des enfants plus nombreux que ceux de la Synagogue, suivant cette parole d'Isaïe: «Réjouis-toi, stérile, qui n'as pas enfanté.» [NOTE 42] Cette femme stérile, qui dans les temps antérieurs ne pouvait absolument pas donner des enfants à Dieu, c'est l'Église: «Éclate de joie et d'allégresse, toi qui n'as pas été en travail. Car les fils de la délaissée sont plus nombreux que les fils de celle qui a un époux» (Is 54, 1). Car l'ancienne Synagogue avait un époux, la loi.
La relève des nations
95. Moïse lui-même, dans le Deutéronome, déclare que les païens seront les premiers et que le peuple incrédule sera le dernier. Il dit encore: «Vous avez excité ma jalousie par ce qui n'est pas Dieu, et vous m'avez mis en colère par vos idoles; et moi j'exciterai votre jalousie par ce qui n'est pas un peuple, et je vous mettrai en colère par une nation insensée» (Dt 32, 21). Les Juifs, en effet, ont abandonné Dieu, celui qui est, pour rendre un culte à des [PAGE 84] divinités qui ne sont que néant. Ils ont tué les prophètes et prophétisé par Baal, qui était une idole chananéenne. Insultant celui-qui-est, le Fils de Dieu, ils l'ont rejeté et lui ont préféré Barabbas, un voleur convaincu d'homicide. Ils ont renié le roi éternel pour acclamer comme roi un César temporel. Ce pourquoi Dieu a daigné transmettre son héritage aux païens, qui n'appartenaient pas à la cité de Dieu et ignoraient même qui était Dieu.
Or, grâce à cette vocation, la vie nous a été accordée, et Dieu a récapitulé en nous la foi d'Abraham. Nous ne devons donc plus regarder en arrière, c'est-à-dire retourner à l'ancienne Loi. Nous avons reçu le Seigneur de la Loi, le Fils de Dieu; par la foi en lui, nous apprenons à aimer Dieu de tout notre cœur et le prochain comme nous-mêmes. Mais l'amour envers Dieu exclut tout péché, et l'amour envers le prochain défend de faire ce qui peut nuire au prochain.
La loi juive est caduque [NOTE 43]
96. Ainsi donc la Loi ne doit plus être notre pédagogue. Nous conversons avec le Père, nous nous tenons en sa présence face à face, devenus enfants sans malice, et fermes en toute justice et pureté. La Loi n'a plus à dire: «Ne sois pas adultère», à celui qui ne songe même pas à une femme étrangère; «Ne tue pas», à celui qui a repoussé de son cœur tout sentiment de colère et de haine; «Tu ne désireras pas le champ de ton prochain, ni son bœuf, ni son âne», à ceux qui ne font aucun cas des biens de la terre, mais qui amassent des trésors pour le ciel; «Œil pour œil, dent pour dent», à celui qui n'a aucun ennemi, mais qui traite tous les hommes comme son prochain, et qui par conséquent n'est pas capable de lever la main pour se venger.
La Loi n'exigera plus la dîme de celui qui a consacré [PAGE 85] tous ses biens à Dieu, et qui a quitté son père, sa mère et tous les siens pour suivre le Verbe de Dieu; elle n'a pas à commander de chômer un jour fixe à celui qui observe chaque jour le sabbat, c'est-à-dire qui vit dans le temple de Dieu, temple qui est le corps de l'homme, s'employant au service du culte de Dieu et pratiquant à toute heure la justice. «Je veux la miséricorde, a dit le Seigneur, et non le sacrifice; et j'aime mieux la connaissance de Dieu que les holocaustes» (Os 6, 6). «Mais il est impie celui qui me sacrifie un bœuf, comme s'il immolait un chien, et celui qui m'offre de la fleur de farine comme si c'était le sang d'un porc» (Is 66, 3). «Mais quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé» (Jr 2, 32): «Car il n'y a pas sous le ciel un autre nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés» (Ac 4, 12), si ce n'est celui de Dieu, c'est-à-dire de Jésus-Christ, Fils de Dieu, auquel les démons mêmes obéissent, ainsi que les esprits mauvais et toutes les forces rebelles.
Le secours de Dieu
97. Par l'invocation du nom de Jésus-Christ, crucifié sous Ponce-Pilate, Satan a été éloigné des hommes [NOTE 44] et partout où l'un de ceux qui croient en lui et l'invoquent en accomplissant sa volonté, Jésus s'approche, se présente et exauce les demandes [NOTE 45] de ceux qui s'adressent à lui avec un cœur pur. Recevant ainsi le salut, nous louons sans cesse Dieu, qui par son infinie, par son insondable, par son inscrutable sagesse, nous a sauvés et, du haut du ciel, nous a annoncé le salut, à savoir l'avènement visible de notre Seigneur, c'est-à-dire sa vie humaine. Nous ne pouvions nous procurer cette grâce par nous-mêmes; toutefois ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu.
[PAGE 86] C'est pourquoi, Jérémie dit à ce sujet:
«Qui est monté au ciel et l'a saisie,
et l'a ramenée des nuées?
Qui a passé la mer et l'ayant trouvée,
l'a rapportée au prix de l'or le plus fin?
Il n'y a personne qui connaisse son chemin,
personne qui comprenne ses sentiers.
Mais celui qui sait tout la connaît,
il la découvre par son intelligence,
celui qui a disposé la terre pour toujours,
et qui l'a remplie de quadrupèdes;
celui qui envoie la lumière et elle part,
qui l'appelle et elle lui obéit avec respect.
Les étoiles brillent à leur poste
et elles sont dans la joie;
il les appelle et elles disent: Présent.
Elles brillent pour la joie de leur auteur.
C'est lui qui est notre Dieu,
nul autre ne lui est comparable.
Il a trouvé tous les chemins de la sagesse,
et il l'a donné à Jacob son serviteur,
et à Israël son bien-aimé.
Après cela il a apparu sur terre,
et il a conversé avec les hommes.
Voilà le livre des commandements de Dieu
et la loi qui subsiste à jamais.
Tous ceux qui la saisissent ont la vie,
mais ceux qui l'abandonnent périront» (Ba 3, 2-4, 1).
Il donne le nom de Jacob et d'Israël au Fils de Dieu. Celui-ci ayant reçu de son Père le pouvoir de nous rendre la vie, l'a ensuite mise à notre portée, lorsque, descendant vers nous qui étions si éloignés de lui, il est apparu sur la terre et a vécu avec les hommes. Il a étroitement uni l'Esprit de Dieu le Père avec la créature de Dieu et l'homme est devenu à l'image et à la ressemblance de Dieu [NOTE 46].
[PAGE 87] CONCLUSION
98. Telle est, mon cher ami, la prédication de la vérité, et la règle de notre salut; c'est aussi la voie qui mène à la vie. Les prophètes l'ont annoncée, le Christ l'a établie, les Apôtres l'ont transmise, partout dans le monde, l'Église l'offre à ses enfants. En toute assurance, il faut suivre cette voie, avec une volonté saine, afin d'être agréable à Dieu par des œuvres bonnes et le désir sincère d'une conduite parfaite [NOTE 47].
Erreurs au sujet de Dieu
99. Dès lors, personne ne doit se figurer que Dieu le Père soit autre que notre Créateur, comme les hérétiques se l'imaginent [NOTE 48]. Ils méprisent Dieu, qui est l'Etre, et ils se font une idole de ce qui n'est que néant; ils se forgent un père élevé au-dessus de notre Créateur, se figurant avoir trouvé quelqu'un de plus grand que la vérité. Tous ceux-là sont des impies et ils blasphèment contre leur créateur et leur Père, comme nous l'avons montré dans notre Critique et réfutation de ce qu'on nomme faussement gnose [NOTE 49]. Il en est d'autres qui dédaignent l'avènement du Fils de Dieu et l'économie de son incarnation, transmise par les Apôtres, prédite par les prophètes pour être le salut de l'humanité, ainsi que nous te l'avons démontré [PAGE 88] en abrégé [NOTE 50]. Ces hommes aussi doivent être rangés parmi les incrédules. D'autres ne reçoivent pas les dons de l'Esprit saint [NOTE 51] et repoussent loin d'eux la grâce prophétique, cette grâce qui, entretenue, permet à l'homme de porter des fruits de vie divine; ce sont ceux dont parle Isaïe: «Car ils seront, dit-il, comme le térébinthe au feuillage flétri, et comme un jardin sans eau» (Is 1, 30); et ceux-là ne servent de rien à Dieu, puisqu'ils ne peuvent rapporter aucun fruit.
100. Par conséquent l'erreur s'est étrangement écartée de la vérité sur les trois articles principaux de notre baptême. En effet, ou bien ils méprisent le Père, ou bien ils ne reçoivent pas le Fils, en parlant contre l'économie de son incarnation, ou ils n'admettent pas l'Esprit saint [NOTE 52], c'est-à-dire qu'ils méprisent la prophétie. Il faut nous défier de tous ces incrédules et fuir leur société, si vraiment nous voulons être agréables à Dieu et atteindre le salut qui vient de lui.
Démonstration de la prédication apostolique de saint Irénée.
Gloire à la Très Sainte Trinité et à l'unique Divinité, Père, Fils et tout Provident Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Souvenez-vous dans le Seigneur du saint et trois fois béni archevêque Ter Iohannès, possesseur de ce manuscrit et frère de notre saint roi, ainsi que du pauvre copiste que je suis [NOTE 53].
NOTES
1. Le but de l'écrit est à la fois catéchétique et apologétique. Irénée veut ensemble résumer et synthétiser l'enseignement de la foi et raffermir par les preuves scripturaires.
2. Thème des deux voies, qui provient de la catéchèse judéo-chrétienne et se trouve dans la Lettre de Barnabé et dans la Didachè.
3. « Règle de foi » est un terme technique pour signifier la doctrine transmise par les apôtres et normative pour la foi. Synonyme de « prédication apostolique », elle est résumée plus loin, d'abord dans la foi des presbytres, c'est-à-dire les disciples immédiats des apôtres ou de Polycarpe, ensuite par un exposé de la doctrine (voir § 5), enfin par l'enseignement méthodique (voir § 6). On notera le caractère éminemment trinitaire de la présentation de la foi. Irénée revient sans cesse à la confession de foi : § 53, 62, 97.
4. « Économie » : terme cher à Irénée pour désigner le dessein du salut.
5. Unité de Dieu, développée par le livre Contre les hérésies, jusque dans la Trinité des personnes. Marcion, un des principaux gnostiques, distinguait deux dieux, l'un juste et rigoureux, le Dieu juif de l'Ancien Testament, l'autre miséricordieux et bon, celui de Jésus-Christ et des chrétiens. Point de départ d'une dichotomie, accentuée par le manichéisme à sa manière, contre laquelle Irénée affirme l'unité de Dieu dans son être et dans son action.
6. Chapitre difficile. Comme les gnostiques reconnaissent sept cieux qu'ils identifient avec des éons (êtres intermédiaires entre Dieu et l'homme), Irénée leur concède la majeure, mais peuple ces cieux de séries d'anges, qui rendent à Dieu le culte mentionné par Is (11,2). Le Fils et l'Esprit se trouvent au sommet de cette pyramide (voir § 10).
7. A partir de ce chapitre l'auteur suit le récit de la Genèse qu'il commente, puis l'histoire sainte, de Genèse 11-30, dont il dégage les faits majeurs, qui ont trait à l'histoire du salut, catéchèse qui ne lui est pas propre mais qui est celle de la communauté. Nous la trouvons par exemple, dans les Constitutions apostoliques, VII, 39.
8. On note l'affirmation chère à Irénée : tout l'homme, corps et âme est image de Dieu, ce qui embarrassera les Pères influencés par le platonisme.
9. L'idée qu'Adam a été créé enfant appartient à la plus ancienne théologie. Irénée la trouve chez Théophile d'Antioche. Clément d'Alexandrie la reprend. Elle sera refoulée par les affirmations d'Augustin qui considérera au contraire Adam comme un surhomme. Le croyant a le choix entre ces deux représentations. Comme Justin, Irénée attribue les théophanies de l'Ancien Testament au Verbe révélateur. Il est possible qu'ils dépendent d'une source commune.
10. Il faut noter le caractère pédagogique du précepte. Pour Irénée, le péché est avant tout une désobéissance (voir plus loin, § 16, 31, 34, 37) qui s'explique par l'immaturité des premiers hommes, mais aussi le refus d'entrer dans les vues de l'économie de Dieu.
11. L'interprétation du chapitre que la Genèse consacre aux Géants se lisait dans les apocryphes juifs. Justin fait naître les démons de ce commerce. Une autre tradition juive (Hénoch VIII, 1-3) fait remonter aux anges prévaricateurs les secrets de la coquetterie féminine, le fard mais aussi les philtres et les incantations d'amour. La même thèse sera reprise par Tertullien et par Cyprien.
12. Pâque est un mot hébreu, il est donc naïf de l'expliquer par une racine grecque comme paschein, souffrir. Néanmoins l'aire de culture grecque n'a pas manqué de le faire comme l'attestent Irénée et Méliton de Sardes. Étymologie qui ferait rire un spécialiste, remarquera Origène.
13. Irénée joue sur les noms Josué et Jésus qui ont la même racine et peuvent se lire de la même manière en hébreu. Tous deux signifient sauveur.
14. Récapitulation est un terme-clef de la pensée d'Irénée, emprunté à saint Paul, qui signifie littéralement donner une tête à et donc mener à son achèvement. Toute l'histoire du salut aboutit à ce qui constitue la thèse centrale de la doctrine d'Irénée : le fils de l'homme vient « récapituler » toutes choses les mener à leur terme, à la fin voulue par Dieu. Il importe à la catéchèse ancienne, comme l'expliquera plus tard saint Augustin, de dégager les faits majeurs de cette longue histoire du salut, pour y déceler le dessein de Dieu.
15. Ce chapitre expose à la fois la nécessité de l'Incarnation pour élever l'homme jusqu'à l'incorruptibilité mais en même temps l'importance du corps dans la structure de l'homme chrétien : victime du péché – et non cause – il devient l'instrument du salut et participe désormais à la grâce du salut par la promesse à l'incorruptibilité. Le Christ y apparaît principalement comme Sauveur. En ceci la Prédication se distingue du traité Contre les hérésies.
15bis. Arrivé au Christ, Irénée remonte le cours de l'histoire jusqu'aux origines, pour établir un parallèle saisissant entre les deux Adams subsidiairement, entre les deux Eves. Il substitue à une vision chronologique de l'histoire, une vision synthétique, où le centre n'est plus le premier Adam mais le Second, où le Christ explique le premier homme et non pas le contraire. Optique primitive, chère à Tertullien, que développent les Pères grecs dont s'écarte saint Augustin, entraînant avec lui presque tout l'Occident.
16. Le thème de Marie-Eve se trouve déjà chez Justin. Associée au salut, chez Irénée, ce qui est le point de départ de la théologie mariale. Eve est également la figure de la femme ou de l'Église. France Quéré voit dans les deux Eves le mystère de la femme : voir La Femme avenir, Paris, 1976.
17. Le parallélisme des deux bois ou des deux arbres est très ancien. Il se trouve déjà chez Justin et même chez saint Ignace. Les quatre dimensions de la « croix » sur le monde sont interprétées comme un signe cosmique qui refait l'unité, chez Justin. L'anonyme auteur d'une homélie pascale du IIe siècle décrit la croix comme un arbre dont la floraison couvre l'univers. Voir Le Mystère de Pâques, « Ichtus » 10, Paris, 1965, p. 75.
18. En même temps que le Christ récapitule l'histoire jusqu'aux origines, il accomplit les deux promesses, l'une faite à Abraham de susciter une descendance à sa foi, la seconde, qui précise la première, de faire naître le Promis par une vierge de la race de David. Ces deux promesses jouent un rôle central dans la catéchèse primitive. Chez Luc (1,32), le fils de David restaure la royauté définitive.
19. Nous avons ici un rappel de ce qui constitue la confession baptismale du chrétien, avec une pointe polémique.
20. Toute l'œuvre du Christ débouche sur la communion de l'homme avec Dieu. Le § 40 annonce déjà l'argument prophétique.
21. L'œuvre du Christ s'achève par celle de l'Église, et sa mission de prêcher l'Évangile aux nations. De part et d'autre, l'Esprit sert de leitmotiv. Au baptême, il prend demeure dans le croyant et devient arrhes d'incorruptibilité et promesse de résurrection corporelle.
22. La loi de la foi dans l'Esprit exige de faire la volonté de Dieu .Elle est faite de soumission au dessein de Dieu et d'obéissance à la règle de foi tracée, en vivant « dans la vérité et la sainteté ».
23. La seconde partie correspond à la première en la complétant. Le christianisme ne se comprend pas sans les prophéties, la prophétie ne s'éclaire que dans et par le fait chrétien. Irénée n'est pas conduit ici par la polémique, mais par la volonté de pénétrer les Écritures.
24. A partir du § 44, l'auteur relit l'histoire sainte où perce la présence du Fils de Dieu. Il choisit les faits caractéristiques, puis des citations bibliques, qui montrent à la fois la préexistence du Christ et son approche progressive des hommes (§ 47-51). Nous trouvons à peu près les mêmes citations bibliques chez Justin ce qui permet de conclure à une source commune. Le Christ est le pont jeté entre celui qui fait et celui qui est fait entre l'être et l'avoir. Il faut noter l'insistance d'Irénée sur le rôle du Christ pour mener au royaume (§ 45, 55, 91-92).
25. Il faut avoir prêt à l'esprit que Christ signifie à la fois Messie et Oint.
26. Ce paragraphe sert de transition entre la préexistence active et la naissance historique de Jésus. Les citations bibliques surtout choisies parmi les prophètes doivent montrer que les événements de la vie de Jésus, de la naissance à la passion et à la résurrection ont été annoncées par les Prophètes et les Psaumes (Ps 52-86).
27. L'exposé se présente comme le développement d'une confession de foi, appuyée aux textes de l'Ancien Testament, tirés sans doute de Testimonia, recueils groupés par thèmes.
28. La citation d'Isaïe : « conseiller admirable », permet à Irénée de montrer la continuité de l'œuvre du Christ, de la création de l'homme à l'Incarnation.
29. La puissance sur les épaules comme allusion à la croix est propre à Irénée, mais se retrouve chez Tertullien. Irénée voit plus l'efficacité de la croix que le gibet.
30. Pour Luc l'étoile s'est contentée de s'arrêter sur la maison, pour Irénée elle est entrée, ce qui se trouve dans le Protévangile de Jacques.
31. Évocation discrète du millénarisme (règne du Christ pendant mille ans sur terre) ; Irénée lui donne ici une interprétation symbolique.
32. Nous avons de nouveau un raccourci de la foi, qui fait penser à un symbole baptismal.
33. Irénée passe des prophètes aux Psaumes non sans retour en arrière. Voir Lc 24,44. La division entre Loi, Prophètes et Psaumes était classique chez les Juifs. Irénée attribue ici à l'ombre de Jésus ce qui est dit de celle de Pierre dans les Ac 5,15.
34. L'auteur place la mort de Jésus sous Claude – ce qui est inexact – parce qu'il pense le Christ mort entre 45 et 50 ans. La référence à Pilate ici comme dans les confessions de foi donne à sa passion son enracinement et sa dimension « œcuménique ».
35. Citation tantôt attribuée à Jérémie tantôt à Isaïe, qui se trouve déjà chez Justin (Dial. avec Tryphon 72, 4), sans doute forgée par les judéo-chrétiens pour appuyer bibliquement la descente aux enfers.
36. On notera l'importance accordée au Psaume 22, prophétie de la passion par excellence, placée sur les lèvres du Christ par les trois synoptiques.
37. Le Psaume 68 est déjà appliqué au Christ par Justin, puis utilisé par la liturgie pour l'Ascension. Voir J. Daniélou, Bible et Liturgie, 1953, p. 420-424. Voir déjà saint Paul, Ep 4,7-9.
38. Psaume 24 : autre Psaume que Justin applique à l'Ascension et qui prend place dans la liturgie de l'Ascension. Voir J. Daniélou, Bible et Liturgie, p. 412-414.
39. Les prophéties et la vie de Jésus ne s'arrêtent pas à la résurrection dans la gloire, elles s'achèvent par la prédication des apôtres et de l'Église au monde entier (cf. § 86-96). Ce qui noue avec la première partie. Il faut noter les redites : dépassement et abrogation de la loi, aux § 87 et 96.
40. Foi et charité sont liées dans la croissance du chrétien.
41. De ce passage biblique provient l'expression « nouvelle alliance » ou « Nouveau Testament ».
42. Verset d'Isaïe beaucoup cité, déjà appliqué à l'Église par saint Paul, Ga 4, 27, puis par Justin.
43. Chapitre qui se ressent de la polémique antijuive avec des arguments qui se retrouvent chez Pseudo-Barnabé et Justin. La loi avait un rôle de pédagogue (esclave qui conduit l'enfant à l'école), les institutions étaient temporaires. Le culte nouveau est désormais lié à la présence de l'Esprit.
44. Nous suivons les traductions de J.P. Smith (Londres, 1952) et de M. Froidevaux (Paris, 1959). S. Weber (Kempten et Muich, 1912) est moins affirmatif. Pour le personnage de Pilate, voir note 34.
45. Irénée associe nettement la prière de demande et d'action de grâces, tout en montrant surtout l'importance de cette dernière, comme attitude fondamentale de l'homme. Voir Contre les hérésies III, 20, 2, texte cité p. 90.
46. Texte-clef qui rythme tout l'économie du salut : voir § 28 et 55, et notre aperçu final, p. 85-93.
47. Irénée s'efforce de ramasser toute sa pensée et son exposé. Il y revient en insistant sur le caractère universel de l'Église.
48. Avant de conclure, l'auteur s'en prend aux hérétiques, sans doute les gnostiques, comme Marcion et Ptolémée, qui errent au sujet de Dieu. Il série les erreurs concernant chacune des personnes divines : cf. § 1-2.
49. Irénée se réfère explicitement à son grand ouvrage, dont il cite le titre complet.
50. Les négateurs du réalisme de l'Incarnation semblent être les juifs et les docètes auxquels s'en prend déjà saint Ignace.
51. Ceux qui n'acceptent pas les dons de l'Esprit peuvent être les Aloges ou plutôt les disciples du gnostique Marcion, qui rejettent l'Ancien Testament en bloc, plutôt que les montanistes. Le charisme prophétique traverse toute l'Écriture, toute l'histoire du salut.
52. Le livre s'ouvre et se ferme sur le baptême et sur sa dimension trinitaire. La doxologie où les trois personnes divines sont associées n'est plus l'œuvre d'Irénée mais du scribe.
53. La fin est une note du copiste. Il s'agit de l'archevêque Jean, le plus jeune frère du roi Haïtoun d'Arménie.
[PAGE 91]
Ce qu'il faut dégager de la Prédication des Apôtres
A première vue, le lecteur percevra difficilement toute la richesse du texte. Seule une lecture méditative permettra de profiter de la teneur de l'écrit. Nous suggérons une relecture, à partir des thèmes essentiels, avec les textes parallèles du traité Contre les hérésies.
A l'aide d'une Bible, remettre les thèmes dans leur contexte.
Tout commence au baptême
La Prédication des apôtres s'ouvre et s'achève sur le baptême et la Trinité. Le baptême est véritablement une naissance au mystère de Dieu : nous y découvrons notre Père, à travers son Fils, Jésus, par l'illumination de l'Esprit saint (Prédication 7).
Inaccessible, Dieu se dévoile pour permettre à l'homme de l'appréhender pour devenir capable « de le porter ». « L'homme de lui-même ne peut voir Dieu mais Dieu, s'il le veut se fait découvrir par les hommes, par ceux qu'il veut, quand il veut, comme il veut, car Dieu peut tout » (Contre les hérésies IV, 20, 5).
Dieu ne se contente pas de se rendre accessible, il permet à l'homme de participer à sa splendeur et d'entrer en communion avec lui. « De même que ceux qui voient la lumière sont baignés de lumière et participent à sa splendeur, ainsi ceux qui voient sont en Dieu et participent à sa splendeur, et cette splendeur leur donne la vie » (Contre les hérésies IV, 20, 5).
[PAGE 92]
Comment voir Dieu?
Dieu est Père et créateur. Il se découvre dans son œuvre l'univers, il y exprime sa tendresse paternelle. Prédication 4, 5, 8. « La création elle-même dont nous faisons partie nous atteste par le spectacle qu'elle met sous nos yeux que celui qui l'a faite et qui la gouverne est unique » (Contre les hérésies II, 27, 2).
Dieu crée, agit par le Fils et l'Esprit, qu'irenee appelle joliment « les deux mains », pour écarter les intermédiaires et montrer l'intimité des rapports entre Dieu et son œuvre. Thème suggéré dans la Prédication (§ 11), développé ailleurs. « Il a ses deux mains à lui, car depuis toujours il a auprès de lui le Verbe et la Sagesse, le Fils et l'Esprit. C'est par eux et en eux qu'il a fait toutes choses, librement et en toute indépendance » (Contre les hérésies IV, 20, 1).
Ceci est particulièrement vrai de la création de l'homme et donne à la parole de la Genèse : « Faisons l'homme à notre image », toute sa densité. Modelé de ce que la terre fournit de plus fin, l'homme porte l'empreinte de Dieu (il est l'icône). Dieu l'a façonné dans son corps et dans son âme semblable à lui (Prédication 2, 11). « O homme, ce n'est pas toi qui fais Dieu mais Dieu qui te fait. Si donc tu es l'ouvrage de Dieu, attends patiemment la main de ton Artiste, qui fait toutes choses quand il convient. Présente-lui un coeur souple et docile, conserve l'empreinte que t'a donnée l'Artiste, garde en toi l'Eau qui vient de lui, sans laquelle tu durcirais et perdrais la trace de ses doigts. En gardant le modelé, tu monteras vers la perfection, car l'art de Dieu voilera en toi ce qui n'est que glaise. Ses mains ont façonné en toi ta substance; elle te revêtira d'or et d'argent, au dedans et au dehors, et ainsi paré, le Roi lui-même sera épris de ta beauté » (Contre les hérésies IV, 39, 2).
Le premier homme n'est pas un super homme (comme l'imaginera plus tard Augustin), mais un enfant, appelé à un devenir, qui lentement, progressivement, en se développant, parvient à l'âge adulte : Prédication 12. « C'est précisément en ceci que Dieu diffère de l'homme. Dieu fait, tandis que l'homme est fait. Celui qui fait est [PAGE 93] toujours le même, tandis que ce qui est fait a nécessairement un commencement, un progrès, une maturité. Dieu donne, l'homme reçoit. Dieu est parfait en tout, égal et identique à lui- même, tout entier lumière, tout entier pensée, tout entier substance et source de tout bien, tandis que l'homme reçoit progrès et croissance vers Dieu. Car si Dieu est toujours le même, l'homme en Dieu progresse sans cesse vers lui » (Contre les hérésies IV, 11, 2).
Le Christ Adam parfait
Seul Jésus-Christ, Fils de Dieu, est la réplique parfaite du Père. Le mystère de Jésus prend racine dans le mystère de Dieu, qu'il partage avec l'Esprit. Le Fils est auprès de Dieu avant que les choses furent créées, par sa médiation (Prédication 43). Condition indispensable pour pouvoir le dévoiler, le communiquer en connaissance de cause (Prédication 30, 43 et 51-52). « Dieu, personne ne l'a jamais vu, mais son Fils unique qui est dans le sein du Père l'a révélé. Ainsi dès les origines, le Fils est le Révélateur du Père, puisque dès le commencement il est avec le Père » (Contre les hérésies IV, 20, 6-7).
Le mystère du Christ est le noeud de toute la pensée irénéenne. Il est le centre lumineux à partir d'où tout s'éclaire, tout s'explique. La création trouve en lui son unité et son sens, c'est-à-dire signification et direction. La Prédication est en grande partie une christologie (Prédication 30-41, 43-85).
Devenu frère des hommes par son humanité, il est dans son corps de chair et dans son âme informée par l'Esprit la réalisation parfaite de la parole de la Genèse : « Faisons l'homme à notre image ». Il réalise en lui la vocation donnée à Adam. Le Christ vient montrer aux hommes l'archétype de la création du monde, l'Image selon laquelle l'homme a été créé (Prédication 22). « Par l'incarnation, le Christ fait descendre Dieu dans l'homme par l'Esprit et monter l'homme jusqu'à Dieu réalisant en lui-même l'oeuvre par lui modelée » (Contre les hérésies V, 1, 1 ; cf. III, 22, 2).
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Le Fils révèle le Père aux hommes
Idée qui parcourt toute la Prédication. Le Fils dévoile tout, au long de l'histoire et de l'Écriture. Il parle à Abraham, à Moïse, à David. Il leur fait connaître à l'avance les choses qui auraient lieu, il leur enseigne ce qui concerne Dieu (Prédication 45. Voilà pourquoi le Nouveau Testament est la clef de l'Ancien : l'accomplissement explique la figure (voir notre introduction, et Prédication 43-86. « De fait partout dans les Écritures de Moïse est semé le Fils de Dieu : tantôt il s'entretient avec Abraham, tantôt il donne à Noé les dimensions de l'arche, tantôt il cherche Adam » (Contre les hérésies IV, 10, 1).
La pédagogie de Dieu prépare de la sorte progressivement l'humanité et le peuple choisi à cet effet : accueillir son Dieu et entrer en communion avec lui. « Ainsi Dieu, dès le commencement a modelé l'homme en vue de ses dons, il a choisi les patriarches en vue de leur salut. Il formait d'avance le peuple pour apprendre à ceux qui l'ignorent à le suivre. Il préparait les prophètes pour habituer l'homme sur la terre à porter son Esprit et à posséder la communion avec Dieu » (Contre les hérésies IV, 14, 2).
L'expérience humaine du Fils
Dans un corps et une vie d'homme, le Fils de Dieu fait l'expérience de tous les âges de l'existence. Il récapitule en même temps toute la longueur de l'histoire des hommes, avec ses joies et ses échecs, ses pesanteurs et son attente (Prédication 6, 30, 39, 95, 99). « Le Verbe s'est manifesté, quand il s'est fait homme, se rendant semblable à l'homme et rendant l'homme semblable à lui, afin que cette ressemblance avec le Fils rende l'homme cher au Père. Auparavant on disait bien que l'homme avait été fait à l'image de Dieu mais sans en donner la preuve, car le Verbe était encore invisible, lui à l'image de qui l'homme avait été façonné, c'est pourquoi la ressemblance s'était vite perdue. Mais quand le Verbe de Dieu s'est fait chair, il rétablit l'une et l'autre (image et ressemblance), car il montra la [PAGE 95] réalité de l'image, devenu à son tour ce qu'était l'image (homme) et imprima profondément la ressemblance en rendant l'homme semblable au Père invisible, dans le Verbe visible » (Contre les hérésies V, 16, 2 ; cf. Prédication 22).
Devenu homme le Fils de Dieu a voulu faire l'expérience de tous les âges de la vie humaine. « A trente ans, il vint à Jérusalem, il avait atteint l'âge parfait pour enseigner. Il n'a voulu ni précipiter ni abroger la loi des hommes mais sanctifier tous les âges, en les expérimentant tous: Tous, dis-je, renaissent à Dieu, les nouveau-nés, les enfants, les jeunes gens, les hommes et les vieillards. Il a donc traversé tous les âges, il s'est fait nourrisson avec les nourrissons pour sanctifier le premier âge, il s'est fait enfant avec les enfants pour sanctifier l'enfance, et donner l'exemple de la piété, de la perfection et de l'obéissance; avec les jeunes gens, il a voulu être jeune homme pour servir d'exemple aux jeunes, en les sanctifiant pour Dieu. Il est devenu homme mûr parmi les hommes pour être le maître parfait de tous, non seulement en exposant la vérité mais en l'adaptant à tout âge. Sanctifiant l'âge mûr, il en est devenu le modèle. Il parvint ainsi jusqu'à la mort, pour devenir le premier-né d'entre les morts et tenir le primat en toutes choses: prince de la vie, le premier de tous, marchant en tête » (Contre les hérésies II, 22, 4).
Il a tout récapitulé en lui
Le maître-mot estrécapituler, emprunté à saint Paul, qui signifie rendre au corps de l'humanité sa tête, son chef (Prédication 30. « Lorsque le Fils de Dieu s'est incarné pour devenir homme, il a récapitulé en lui-même la longue chaîne des hommes et nous a procuré le salut, en le ramassant dans sa chair, de sorte que ce que nous avions perdu en Adam – c'est-à-dire notre qualité d'image et de ressemblance de Dieu – nous pourrions le retrouver dans le Christ Jésus. Comme il n'était pas possible à l'homme une fois vaincu et brisé par la désobéissance de se remodeler lui-même et d'obtenir la victoire, que de plus il n'était pas possible à l'homme tombé au pouvoir du péché de recevoir le salut, le Fils a opéré l'un et l'autre : Verbe de Dieu, il est descendu [PAGE 96] jusque dans la mort. Il a achevé l'économie de notre salut » (Contre les hérésies III, 18, 1- 2).
Le Christ et le péché
L'incarnation de Jésus n'est pas l'exaltation de l'homme par une sorte d'humanisme mais un salut par la croix. Douloureusement le Christ refaçonne l'œuvre compromise par le péché. Scandale de la croix qu'Irénée voit inscrite avec toutes ses péripéties dans les prophéties de l'Ancien Testament (Prédication 31, 68-87). « Le Verbe sauveur s'est fait cela même qu'était homme, qui s'était perdu, pour réaliser par là sa propre unité et le salut de l'homme. Or ce qui était perdu avait chair et sang. Il a donc pris lui aussi chair et sang pour récapituler en lui non quelque autre ouvrage mais l'ouvrage modelé par le Père à l'origine, et rechercher ce qui était perdu. C'est pourquoi l'apôtre dit dans son Épître aux Colossiens : ‘Vous avez été réconciliés en son corps de chair par le moyen de sa mort pour vous présenter devant les saints sans tache ni reproche’ (Col 1, 22). La chair du juste a réconcilié la chair prisonnière du péché et l'a réintroduite dans l'amitié de Dieu » (Contre les hérésies V, 14, 2).
La croix sur le monde
« Pour détruire la désobéissance originelle de l'homme qui s'était perpétré par l'arbre (de la connaissance), le Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix, guérissant ainsi par l'obéissance la désobéissance accomplie par l'arbre » (Contre les hérésies V, 16, 1 ; cf. Prédication 34, 45, 56, 79).
Irénée développe en même temps les dimensions cosmiques de la croix et du salut. Ce qui lui permet d'affirmer avec la même netteté l'universalité du salut et la vocation des païens, qui lui tient particulièrement à cœur (Prédication 9, 30, 99, mais aussi 42, 89, 91, 92, 95). « Par le bois de la croix, l'oeuvre du Verbe de Dieu est devenue manifeste. Ce que nous avons perdu par le bois d'un arbre, nous a été rendu par un autre bois (la croix), pour nous montrer la hauteur, la longueur, la largeur (toutes [PAGE 97] les dimensions). Et comme l'a dit un des presbytres: par ses mains étendues, il a ramené vers Dieu les deux peuples de la terre. Il avait, en effet, deux mains, à cause des deux peuples dispersés aux extrémités du monde. Mais au centre il n'y avait qu'une seule tête, pour montrer qu'il n'existe qu'un seul Dieu, au-dessus de tous, au milieu de tous, et en tous » (Contre les hérésies V, 17, 4 ; cf. Prédication 34).
Salut qui s'étend à la totalité des hommes, à travers la longueur de l'histoire, à la création tout entière dans la totalité de ses composantes. Un même et unique salut pour tous les hommes qui par des chemins multiples les conduit à Dieu (Prédication 1).
Marie, nouvelle Eve
Au thème du Christ, nouvel et véritable Adam, correspond celui de Marie nouvelle Eve et mère des croyants. La Tradition verra en elle la femme, l'humanité, l'Église (Prédication 32, 33-35, 53-54, 57). « De même qu'adam, le premier homme modelé reçut sa substance de la terre neuve et encore vierge, ainsi pour récapituler tout en lui-même, Adam, le Verbe est né de Marie encore vierge, et fut engendré de manière à récapituler la naissance du premier Adam » (Contre les hérésies III, 21, 10). « Eve fut désobéissante et devint pour elle et pour le genre humain une cause de mort, Marie, elle, épouse d'un homme prédestiné et cependant vierge, est devenue par son obéissance pour elle et pour le genre humain cause de salut » (Contre les hérésies III, 22, 4).
L'homme vivant, gloire de Dieu
Ces prémisses permettent d'esquisser l'itinéraire chrétien et de comprendre la célèbre parole: l'homme vivant, gloire de Dieu. « Le Verbe de Dieu nous a porté la grâce du Père. Il a montré Dieu aux hommes et l'homme à Dieu, tout en sauvegardant l'invisibilité du Père pour que l'homme ne perde pas le sens de Dieu mais sache sans cesse vers lui progresser. En même temps il a rendu perceptible Dieu [PAGE 98] aux hommes par de multiples dispositions de peur que l'homme, privé totalement de Dieu n'en perde jusqu'à l'existence. Car la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu (Contre les hérésies III, 20, 7).
La foi découvre au croyant que le baptême est le modelage de l'homme nouveau, par les deux mains de Dieu, le Fils et l'Esprit. Le baptême non seulement nous découvre cette dimension trinitaire mais nous révèle le caractère de l'image trinitaire en nous (Prédication 3, 5-7, 47, 99, 100).
En nous tous l'Esprit crie : « Abba, Père » (Notre Père) et façonne l'homme à la ressemblance de Dieu (Prédication 5).
Cette nouveauté appelée tantôt participation, inhabitation, « greffe de l'Esprit », communique à la fois un achèvement et une dynamique. « Présentement, c'est en partie que nous recevons l'Esprit, pour nous disposer dans un libre choix à progresser et à nous préparer à l'incorruptibilité, en nous accoutumant peu-à-peu à saisir et à porter Dieu. C'est ce que l'Apôtre appelle ‘les arrhes’, c'est-à-dire une partie de ce qui vous est promis par Dieu » (Contre les hérésies V, 8, 1).
L'itinéraire vers Dieu
La marche spirituelle du peuple de Dieu et de chacun de ses membres, s'accoutume progressivement à saisir et à porter Dieu. Elle est à la fois saisie et tension dans et par l'Esprit, vers l'achèvement. Impulsion « qui donne au flux temporel sens et direction, but et consistance ». C'est le mouvement imprimé à l'histoire du salut par Dieu dont le Père est le principe et le terme (Prédication 46, 55, 88-90. « Telle est la magnanimité de Dieu. Il a fait en sorte que l'homme passe par toutes les étapes. Qu'il fasse l'expérience de ses exigences avant de parvenir à la résurrection d'entre les morts. Qu'il apprenne d'expérience de quel mal il a été délivré et garde à Dieu une continuelle action de grâces. Doté par lui de l'incorruptibilité, qu'il lui en témoigne d'autant plus d'amour. Car la gloire de l'homme c'est Dieu, mais le chef-d'œuvre de toute la sagesse, de toute la puissance, c'est l'homme » (Contre les hérésies III, 20, 2).
[PAGE 99] « L'admiration étonnée » rejaillit en définitive de l'oeuvre sur l'artiste. « En même temps l'expérience de la chute fait apprécier le salut, comme la maladie, la santé, comme les ténèbres font désirer et apprécier la lumière » (Contre les hérésies IV, 37, 7).
La gloire de Dieu est une place centrale dans la Prédication. Glorification de Dieu par toute l'échelle des êtres, au sommet desquels Irénée place le Verbe et la Sagesse, qu'il compare aux Chérubins et aux Séraphins, qui par leurs chants célèbrent Dieu. Adoration qui s'exprime dans le culte universel, culte céleste qui se continue par le culte rendu par l'homme (Prédication 10). Culte que nous lui devons jour et nuit (Prédication 8), culte des sept cieux et des sept dons de l'Esprit (Prédication 9), finalement culte de la nouvelle alliance, où le temple de Dieu s'établit dans le corps de l'homme (Prédication 96). Univers d'adoration qui rend un culte trinitaire.
La vie dans l'Esprit
La foi semée en nous au baptême lève en charité, plénitude de la loi et perfection à réaliser (Prédication 87). « Il te faut d'abord garder ton rang d'homme et ensuite seulement recevoir en partage la gloire de Dieu. Ce n'est pas toi qui fais Dieu mais Dieu qui te fait. Si donc tu es l'ouvrage de Dieu, attends patiemment la main de l'artiste qui fait toutes choses en temps opportun » (Contre les hérésies IV, 39, 2).
Patience de Dieu, lenteur de l'homme à l'accueillir et à le rayonner, en gloire.
Le fruit visible de l'Esprit invisible est de mûrir la chair et la rendre capable d'incorruptibilité.
Dans le livre Contre les hérésies plus que dans la Prédication, la polémique fait conclure Irénée à la saisie de tout l'homme par l'Esprit, jusqu'à le rendre incorruptible et lui promettre la résurrection de l'homme total : corps, âme et Esprit. Tout le livre V est consacré à ce thème. « Qu'est-ce qui est semé en terre et y pourrit comme un grain de froment, sinon le corps de l'homme que l'on dépose dans cette même terre, qui reçoit la semence. ‘Semée dans la faiblesse, elle ressuscitera dans la puissance’. La fai- [PAGE 100] blesse dont il s'agit est celle de la chair, qui venue de la terre retourne à la terre, mais la puissance, qui est celle de Dieu, la ressuscitera d'entre les morts. Tels sont bien en effet les corps psychiques (c'est-à-dire participant d'une âme) : lorsqu'ils la perdent, ils meurent, puis ressuscitent par l'Esprit et deviennent corps spirituels ; afin de posséder par l'Esprit une vie qui demeure à jamais » (Contre les hérésies V, 7, 2).
Loin d'être un obstacle comme le voulaient les gnostiques et les platoniciens, le corps est de la fête. L'obstacle se situe au niveau de la liberté et de la volonté ; le salut est entrée dans le jeu de Dieu, de l'homme tout entier.
L'Esprit dans l'Église
L'autre « main de Dieu », l'Esprit, communique son souffle à l'homme façonné. Il le consacre comme il a consacré le Christ. Irénée, compare l'Esprit à une huile parfumée qui se répand sur le Christ, mais aussi sur tous ses compagnons, qui participent à son royaume (Prédication 47, 53). « Le nom du Christ signifie à la fois celui qui donne l'onction et celui qui la reçoit et l'onction elle-même. C'est le Père qui donne l'onction, c'est le Fils qui est oint dans l'Esprit, qui est l'Onction. Comme la Parole le dit par Isaïe : ‘L'Esprit de Dieu est sur moi, c'est pourquoi il m'a oint’ (Is 61, 1). Ce qui signifie à la fois le Père qui oint, le Fils qui est oint et l'Onction qui est l'Esprit » (Contre les hérésies III, 18, 3).
Du Christ l'onction de l'Esprit se communique à tout son corps ecclésial – à chacun de ses membres – où l'Esprit établit sa demeure (Prédication 41-44, 47).
L'Esprit qui est dilatation communique à l'Église son souffle et sa dimension, il l'anime et lui donne son parfum. « Là où est l'Église est l'Esprit de Dieu, et là où est l'Esprit de Dieu, là est l'Église et toute grâce. La prédication de l'Église est la même partout et demeure égale à elle-même, appuyée sur toute l'économie divine ; elle réside à l'intérieur de notre foi que nous avons reçue de l'Église et que nous conservons, foi qui toujours sous l'action de l'Esprit de Dieu comme un parfum de prix conservé dans une amphore de qualité embaume le vase qui le contient » (Contre les hérésies III, 24, 1).
[PAGE 101] Le fruit visible de l'Esprit invisible est de mûrir la chair et de la rendre capable d'incorruptibilité. Ailleurs Irénée dit : capax Dei, capable de Dieu (Contre les hérésies V, 12, 4). « Mais lorsque cette ‘figure’ aura passé, que l'homme aura été renouvelé, qu'il sera mûr pour l'incorruptibilité, au point de ne plus pouvoir vieillir, apparaîtra le ciel nouveau et la terre nouvelle, en lesquels l'homme nouveau demeurera dans un dialogue éternellement nouveau avec Dieu » (Contre les hérésies V, 36, 1).
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Ce texte dans l'histoire
Les écrits d'Irénée ont marqué les générations immédiates. Ils ont été traduits en latin, en arménien, en syriaque. Mais dès le VIe siècle, ils sont introuvables à Lyon comme à Rome. Le Moyen Age les ignore. Il ne se trouve aucune citation même apocryphe dans le Décret de Gratien, ni dans les œuvres complètes de Thomas d'Aquin ni de Bonaventure.
Le titre grec de l'ouvrage nous a été conservé par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique, V, 26 : « Outre les écrits d'Irénée, mentionnés plus haut, on montre encore de lui un livre très court et tout à fait utile contre les Grecs, intitulé De la science, un autre dédié à un frère du nom de Marcianus, Pour la démonstration de la prédication apostolique, puis un petit livre de divers dialogues. » Jérôme (De viris inlustribus 35) dans sa note sur Irénée abrège le titre du livre.
Une copie de la traduction arménienne faite sans doute sur l'original grec, entre 570 et 590, fut exécutée entre 1265 et 1289 pour l'archevêque Jean, frère de Haïtoun, roi de la Grande Arménie. L'homme d'Église était un grand bibliophile. Le manuscrit, en écriture bolorgir, contenait des livres liturgiques et patristiques; outre la Démonstration, les livres IV et V de l'Adversus haereses.
L'unique et lointain manuscrit fut découvert à Erévan, en Arménie russe par l'archimandrite Mgr KArapet Ter-Mekerttschian, et d'abord publié à Leipzig, en 1907; depuis traduit en de nombreuses langues. Notre traduction reprend la première traduction du jésuite J. Barthoulot, en la faisant bénéficier des améliorations apportées depuis lors au texte. Cette révision critique veut fournir une traduction fidèle mais lisible; elle a été faite sur l'arménien, par Sever J. Voicu, de Rome. Nous lui exprimons ici toute notre gratitude.
[Note de G. Bady: En 1978 ont été découverts des fragments de la version arménienne dans le manuscrit Galata 54 ; la dernière édition dans la collection « Sources Chrétiennes » 406, Paris, 1995, par A. Rousseau, en tient compte. Le lecteur s'y référera en priorité.]
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Bibliographie sélective (mise à jour par G. Bady)
Pour un premier aperçu concernant Irénée, voir Les Pères de l'Église, PdF 1, p. 28-37.
Textes et traductions de référence pour la Prédication
K. Ter-Mekerttschian et E. Ter-Minassiantz, Des heiligen IrenäusSchrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, in armenischer Version entdeckt, avec une préface et des remarques d'A. von Harnack (Texte und Untersuchungen 31, 1), Leipzig, 1907.
Ch. Renoux, Irénée de Lyon. Nouveaux fragments arméniens de l'Adversus haereses et de l'Epideixis, Patrologia Orientalis 39, fasc. 1, Turnhout, 1978.
« Saint Irénée, Démonstration de la Prédication apostolique. Introduction par J. Tixeront, traduction et notes par J. Barthoulot », dans Recherches de Science Religieuse 6, 1916, p. 361-432, repris dans la Patrologia Orientalis 12, fasc. 5, Paris, 1919, p. 750-802.
J.P. Smith, St. Irenaeus. Proof of the Apostolic Preaching, « Ancient Christian Writers » 16, Westminster-Maryland et Londres, 1952. Traduction anglaise qui a fait date.
A. Rousseau, Irénée de Lyon. Démonstration de la prédication apostolique, Sources Chrétiennes 406, Paris, 1995. Améliore la traduction de M. Froidevaux, Sources Chrétiennes 62, Paris, 1959, notamment par le recours aux variantes en arménien tirées du Galata 54.
Autre traduction, disponible en ligne sur http://www.patristique.org/article.php3?id_article=57
L'homme, son époque, son œuvre
E. Griffe, La Gaule romaine à l'époque romaine, t. 1, Paris, 1964. Travail d'historien averti, lisible par le grand public.
G. Bardy, La vie spirituelle d'après les Pères des trois premiers siècles, nouvelle édition, Paris, 1968, p. 155-195.
A. Benoît, Saint Irénée. Introduction à l'étude de sa théologie, Paris, 1960. Technique mais encore accessible.
L. Doutreleau et L. Regnault, «Irénée de Lyon (saint)», Dictionnaire de spiritualité VII/2, 1971, col. 1923-1969.
H. Urs von Balthasar, La gloire et la croix, t. 2, Paris, 1968, p. 27-84. Brillant exposé, pour un lecteur cultivé.
Contre les hérésies
Le chef-d'œuvre d'Irénée a été édité avec la traduction d'A. Rousseau et de ses collègues et les textes latin et grec dans la coll. « Sources Chrétiennes » (SC), au Cerf : livre I (SC 263 et 264 : 1979), II (SC 293 et 294 : 1982), III (SC 210 et 211 : 1974), IV (SC 100* et 100** : 1965), V (SC 152 et 153 : 1969).
Cette traduction du traité Contre les hérésies est aussi éditée en un seul volume, au Cerf (dernièrement dans la coll. « Sagesses chrétiennes » en 2007).
Choix de textes
J. Comby et D. Singles, Irénée de Lyon. La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, Cerf, 1994, 2e édition 2007. Choix faits avec la traduction d'A. Rousseau.
A. Garreau, Saint Irénée, coll. « Écrits des saints », Le Soleil Levant, 1962. Bonne sélection des textes essentiels.