Lauréate avec Hélène Grelier du Prix Hamman 2009-2010
Le Prix Hamman 2009-2010 a été exceptionnellement décerné à deux lauréates : Hélène Grelier, pour « L’argumentation de Grégoire de Nysse contre Apolinaire de Laodicée : Étude littéraire et doctrinale de l’Antirrheticus adversus Apolinarium et de l’Ad Theophilum adversus apolinaristas » (prévu dans la collection des Études augustiniennes), et Fabienne Jourdan, pour « La réception du mythe d’Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles » (paru en 2 tomes aux Belles Lettres).
Le Prix 2009-2010 leur a été remis à l’occasion de la manifestation du 14 juin 2010.
Présentation de Fabienne JOURDAN et de sa thèse :
Née le 25 Janvier 1978.
Agrégée de Lettres classiques et Docteur en Histoire de la Philosophie, Fabienne Jourdan a enseigné la langue, la littérature et la philosophie grecques anciennes aux Universités Paris I — Sorbonne (2002-2005) et Paris X — Nanterre (2006-2007).
Les bourses Lavoisier (Ministère des affaires européennes) et Humboldt (Allemagne) lui ont été accordées pour mener ses recherches en patristique et philosophie grecques en Allemagne.
Elle est actuellement chargée de recherches au CNRS (Centre Lenain de Tillemont — Paris IV — Sorbonne) et passera l'année universitaire 2010-2011 à l'Université de Göttingen en tant que chercheur invité du Lichtenberg-Kolleg.
Elle est l'auteur d'une traduction commentée du Papyrus de Derveni (2003), d'articles sur l'usage des mythes d'Orphée et de Dionysos dans le platonisme et la littérature chrétienne, et d'une monographie sur le Poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, parfois nommé Testament d'Orphée (2010).
Bibliographie :
Monographies:
- Le Papyrus de Derveni, introduction, traduction et commentaire, Paris, Les Belles Lettres (« Vérité des mythes » 23), 2003, 198 pages.
- Poème judéo-hellénistique attribué à Orphée, « Production juive et réception chrétienne », Paris, Les Belles Lettres, (« Fragments »), 2010, 308 pages.
- Orphée et les Chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles », Tome I, Orphée du repoussoir au préfigurateur du Christ. « Réécriture d'un mythe à des fins protreptiques chez Clément d'Alexandrie », Paris, Les Belles Lettres (« Anagôgê » 4), 2010, 488 pages.
- Orphée et les Chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles », Tome II, Pourquoi Orphée ? Les réécritures polémiques et religieuses du mythe d'Orphée dans la littérature patristique grecque jusqu'au début du VIe siècle », Paris, Les Belles Lettres (« Anagôgê »), 2011, 478 pages.
Articles:
- « Manger Dionysos. L'interprétation du mythe du démembrement par Plutarque a-t-elle été lue par les néo-Platoniciens ? », Pallas 67, 1er semestre 2005, p. 153-174.
- « Porphyre, lecteur et citateur du traité de Plutarque Manger de la viande », Revue des études grecques, 118, 2005, 2, p. 426-435.
- « Dionysos dans le Protreptique de Clément d'Alexandrie », Revue de l'histoire des religions, 223, 3, 2006, 3, p. 265-282.
- « Orphée, sorcier ou mage ? », Revue de l'histoire des religions, 225, 1, 2008, 1, p. 5-36.
- « L'association poétique des citharèdes légendaires (Amphion, Arion et Orphée) chez Horace et Silius Italicus », Revue des études anciennes, 110, 1, 2008, p. 103-116.
- « Le Logos et l'empereur, nouveaux Orphée. Postérité d'une image entrée dans la littérature avec Clément d'Alexandrie », Vigiliae christianae, 62, 4, 2008, p. 319-333.
- « Orphée est-il véritablement un homme ? La réponse grecque : L'efféminé versus l'initiateur des hommes », Les Études classiques, 76, 3, p. 2008, 3, p. 129-174.
Résumé de la thèse
Titre : Orphée et les chrétiens, « La réception du mythe d'Orphée dans la littérature chrétienne grecque des cinq premiers siècles »
Depuis le VIe siècle avant J.-C., la légende fait d'Orphée le citharède qui séduit bêtes sauvages, arbres et pierres, l'amant désespéré qui descend aux Enfers quérir Eurydice, le poète des dieux païens qui introduit à leurs mystères. À la fin du IIe siècle de notre ère, ce héros de la métamorphose en subit à son tour une des plus étonnantes : il devient une préfiguration du Christ. Le motif d'un tel rapprochement n'est pas la descente aux Enfers, tant exaltée au Moyen Âge et à la Renaissance. De manière plus inattendue, il s'agit du chant, ce chant qui, d'après la légende, mène animaux sauvages, arbres et pierres. Clément d'Alexandrie fut le premier à voir en lui le précurseur et symbole de la Parole efficace. Dans son exhortation aux Grecs à embrasser la religion nouvelle (le Protreptique), il dépeint son Seigneur non seulement comme le chanteur, mais comme le chant d'ordre supérieur qui achève le miracle : il régénère les bêtes les plus sauvages, les hommes, et leur accorde jusqu'à l'éternité. Par ce portrait, l'Alexandrin fait émerger a posteriori les trois vertus du chant d'Orphée qui lui permettent de découvrir en lui une préfiguration du Christ : être source de métamorphoses, fondateur des mystères et annonciateur du Dieu unique. Le premier volume d'Orphée et les Chrétiens (Du repoussoir au préfigurateur du Christ, Paris, Les Belles Lettres, 2010), analyse l'élaboration de cette mutation christique d'Orphée, en montrant comment Clément recourt aux images familières à ses destinataires, les passe au crible de sa critique et les christianise pour transmettre insensiblement les principes de sa foi.
Le second volume (Pourquoi Orphée ? Paris, Les Belles Lettres, 2011) se propose quant à lui de comparer le traitement d'Orphée par Clément avec celui de ses coreligionnaires d'expression grecque dans les cinq premiers siècles. Il poursuit deux objectifs : déterminer les différents contextes polémiques dans lesquels la figure légendaire est utilisée et dégager ceux des traits qui lui sont prêtés, tantôt par les païens, tantôt par les Juifs et chrétiens eux-mêmes, qui ont contribué à son appropriation chrétienne. Il fait ainsi apparaître trois types de recours à Orphée. 1) Dans un esprit apologétique, le poète et son œuvre font l'objet d'une condamnation unilatérale, à moins qu'ils ne soient présentés de manière favorable pour mieux détracter, par contraste, le paganisme. 2) De pure cible du réquisitoire, Orphée passe au rang de modèle dans l'apostasie du polythéisme grâce à la citation du poème judéo-hellénistique qui lui fait chanter le Dieu unique. 3) Orphée est enfin considéré comme maillon primordial dans la chaîne de transmission de la vérité judéo-chrétienne. Avec Théodoret cependant, il finit par être éliminé de la scène chrétienne, perdant son rôle de converti pour revêtir celui de perfide apostat. Il aurait complètement disparu de celle-ci si ne restait au christianisme un dernier terrain à gagner : la dispute avec les néo-Platoniciens. Les vers de l'Orphée converti sont alors cités une dernière fois chez l'auteur de la Théosophie dite de Tübingen, pour montrer que ce n'est pas avec les Oracles chaldaïques que le poète chante en « symphonie », mais avec ceux du Chaldéen (Abraham).
L'analyse permise par cette typologie des usages polémiques d'Orphée permet finalement de dégager quatre facteurs, puisant leurs racines dans la représentation païenne du personnage, expliquant l'appropriation chrétienne de celui-ci chez Clément en particulier : 1) l'attribution au poète de vers monothéistes qui culmine dans celle du poème judéo-hellénistique en l'honneur du Dieu unique ; 2) son antériorité absolue en tant que poète et théologien vis-à-vis de ses pairs grecs : elle assure à son discours la garantie d'authenticité divine — antériorité néanmoins inséparable de sa postériorité eu égard à Moïse dans l'esprit juif et chrétien, laquelle sanctionne l'idée que la religion grecque est la fille dégénérée de sa mère hébraïque ; 3) sa prétendue nationalité thrace qui lie son nom à des pratiques cultuelles permettant une rencontre directe et efficace avec le divin et lui confère la qualité de Barbare : elle le place d'un côté à l'origine « immaculée » de la culture grecque et l'inscrit de l'autre, sinon directement dans la lignée, du moins dans la continuité de ceux qui endossent volontairement cette qualification au début de notre ère, à savoir les chrétiens à la suite de leurs ancêtres juifs. 4) Le dernier facteur, mais aussi le plus sollicité dans le Protreptique, réside dans la présence « étincelle » en Orphée d'une notion et d'une figure bibliques : le Logos, présenté par Clément (suivi par Eusèbe) comme chant capable de métamorphoser le monde, et son ancêtre vétérotestamentaire, le psalmiste David.
Les deux tomes sont sortis aux Belles Lettres, ISBN-13 978-2-251-18110-3 et 978-2-251-18111-0.